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Au camp de réfugiés de Dadaab au Kenya, un étudiant de maîtrise s’engage activement dans la vie du campus de l’Université York au Canada

Par Lauren La Rose


Abdikadir Bare Abikar n’a jamais vu l’Université York de ses propres yeux. Pourtant, la distance n’a jamais été un obstacle pour l’étudiant diplômé qui a déjà laissé une empreinte durable sur le campus canadien, une communauté à laquelle il est fier d’appartenir.


Abdikadir suit actuellement une maîtrise en éducation à l’Université York – la troisième plus grande université au Canada – sans jamais avoir mis les pieds dans le campus. Originaire de Somalie, Abdikadir habite à Dadaab depuis 20 ans, dans le camp de réfugiés reculé d’Ifo au Kenya. Grâce à l’apprentissage en ligne, il y suit des études supérieures depuis 2013.

« On se sent vraiment inclus », déclare Abdikadir. « Le fait de ne pas être présent dans le campus n’est pas un problème. »

« Nous apprenons beaucoup de choses à l’Université York. Les professeurs nous ont vraiment intégrés dans leurs programmes et nous ont vraiment aidés. »

Abdikadir fait partie des sept étudiants réfugiés inscrits dans un programme de maîtrise à Dadaab, un camp qui abrite plus de 200 000 personnes. Il s’agit d’un cas rare, car seulement trois pour cent des réfugiés dans le monde peuvent suivre des cours à l’université.

Mais comme peuvent en témoigner ses professeurs et ses pairs, cet homme marié, père de trois enfants, est déterminé à terminer son parcours universitaire avec plus qu’un simple diplôme en poche. En plus des trajets quotidiens de deux heures à pied qu’il doit faire jusqu’à la salle d’informatique et des vidéoconférences qu’il mène de chez lui, il coordonne activement des projets et des initiatives dont bénéficient ses camarades de classe au Canada et au Kenya.

Depuis sa classe de niveau inférieur au Winters College – qui héberge la Faculté d’éducation de York – Farra Yasin, tout sourire, discute avec Abdikadir par vidéoconférence. Depuis qu’ils ont tissé des liens grâce à leur travail au sein du York Graduate Students in Education Council (YGSE), ils sont restés amis.

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« Quand Abdikadir a rejoint le Conseil, personne n’était vraiment responsable de maintenir le contact avec la communauté de Dadaab », se souvient Farra, adjointe de recherche à l’Université York qui a obtenu un doctorat à l’Université de Toronto.

« Lorsqu’il a pris la direction du service informatique, il a vraiment permis d’établir des liens entre les deux groupes. »

Abdikadir a également acquis des compétences et des connaissances importantes pendant son mandat au sein du Conseil.

« J’ai appris que les étudiants avaient la capacité de s’exprimer. Quel que soit l’endroit où ils se trouvent, ils peuvent devenir les ambassadeurs des causes qu’ils représentent », a-t-il déclaré. « Le Conseil m’a permis de voir le leadership sous un autre angle. »

Se réveiller à l’aube commence à devenir une habitude pour Mirco Stella. Chaque semaine, il dirige un tutoriel en ligne d’une heure avec les étudiants de Dadaab et se lève à 5 heures du matin pour préparer la séance. En tant que coprésidente du YGSE, Stella et les autres membres du Conseil organisent des réunions dès 8 heures du matin (heure de Toronto) – soit sept heures de moins que Dadaab – pour s’assurer qu’Abdikadir puisse participer.

« Je pense qu’à cet égard, la principale contribution d’Abdikadir a été d’essayer d’inciter d’autres étudiants à prendre des responsabilités », a déclaré le doctorant. « Il travaille beaucoup – surtout avec le nouveau groupe d’étudiants – pour essayer aussi de développer leur sens du leadership. »

Bien avant que leurs chemins ne se croisent à l’Université York, les liens qui unissaient Mohamed Duale et Abdikadir allaient bien au-delà de leur intérêt commun pour les études supérieures. Comme Abdikadir, Mohamed et sa famille ont dû quitter la Somalie pour s’installer au Canada en tant que réfugiés au milieu des années 1990.

Pendant les deux premières années de son doctorat, Mohamed était l’assistant d’enseignement d’Abdikadir, un poste qu’Abdikadir a également occupé pendant un cours dispensé par Mohamed. Aujourd’hui, en tant qu’étudiants de troisième cycle, les deux hommes font partie d’un collectif qui a co-écrit un article sur les difficultés rencontrées par les enseignants réfugiés. L’article a été publié dans Forced Migration Review, une revue publiée par le Centre d’études sur les réfugiés de l’Université d’Oxford.

Mohamed espère que ce qu’ils ont été capables d’accomplir se répétera à l’avenir, c’est-à-dire que des réfugiés mènent des recherches sur les réfugiés.

« 85 pour cent de la recherche est menée par des pays du Nord, bien que 85 pour cent des réfugiés vivent dans des pays du Sud. Et dans ces 15 pour cent restants, l’implication des réfugiés dans la recherche sur les réfugiés est quasiment inexistante », explique Mohamed.

« Je pense qu’investir dans l’enseignement supérieur des réfugiés apporte une réelle valeur ajoutée, non seulement pour leur autonomisation, mais aussi pour que nous sachions ce que cela signifie que d’être réfugié. Je pense qu’il manque un élément dans notre discipline. »

Le parcours universitaire d’Abdikadir s’est déroulé en ligne. Il a reçu un diplôme d’enseignant de l’Université Kenyatta au Kenya, l’une des 23 universités appartenant au Connected Learning in Crisis Consortium, co présidé par le HCR. Avant de poursuivre sa maîtrise à York, il a été accepté dans le programme de licence de l’université. L’Université York est la seule dans le Consortium à proposer un diplôme de maîtrise aux réfugiés.

En outre, l’Université York fait partie du projet « Borderless Higher Education for Refugees » (BHER). BHER repose sur une collaboration internationale entre des universités canadiennes et kényanes et des ONG partenaires au Canada, et bénéficie du soutien du HCR.

« Il existe une très grande demande et des besoins importants en termes d’éducation parmi les réfugiés et à Dadaab », explique HaEun Kim, Administratrice du programme BHER. « Les classes sont surpeuplées et les enseignants ne sont pas formés, ce qui crée une forte demande en termes d’éducation. Toutefois, ils ne disposent pas d’infrastructures adéquates pour offrir une éducation de qualité. Nous avons donc répondu à ce besoin. »

Kurt Thumlert, Professeur adjoint à la Faculté d’éducation de York, dit qu’une grande partie du travail effectué par Abdikadir consiste à « créer de nouvelles technologies de manière autonome. »

Dans le cadre d’un cours sur la technologie et l’apprentissage, Abdikadir a co-créé avec Abdullahi Yussuf Aden le site RefugeesRespond.org. « Ils ont créé ce site afin de disposer d’une plateforme pour raconter leur propre histoire, et aussi encore une fois, pour développer les compétences technologiques que les enseignants pourront utiliser sur place », explique Kurt. « Ils se voient comme des acteurs du changement à la fois maintenant et dans l’avenir, ce que je trouve très inspirant. »

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