Selon la principale spécialiste du HCR en santé publique, la prévention et l’inclusion doivent être au cœur de la réponse pour aider les personnes déracinées, en particulier dans les zones où les services de santé sont faibles.
Par Jonathan Clayton à Genève
Ann Burton, cheffe de la Section du HCR pour la santé publique, décrit les dangers que le nouveau coronavirus représente pour les réfugiés et les déplacés internes. Elle explique également comment le HCR travaille pour ralentir sa propagation, réduire son impact et sauver des vies. Travaillant depuis son domicile à Genève, elle s’est entretenue avec Jonathan Clayton du Service de communication du HCR.
Parmi 25,9 millions de réfugiés dans le monde, la plupart sont accueillis dans des pays en développement, où les unités de soins intensifs comptent souvent moins de lits et moins de ventilateurs. Quelle est l’importance de prévenir les épidémies parmi les populations de réfugiés ?
Il est vrai que de nombreux réfugiés vivent dans des pays d’accueil dont les systèmes de santé sont parmi les plus faibles au monde. Une épidémie mettrait à rude épreuve des services de santé locaux fragiles et entraînerait probablement des souffrances et des décès évitables.
Prévenir ou retarder les épidémies, en particulier parmi les plus vulnérables, est la mesure la plus importante que nous puissions mettre en oeuvre dès maintenant. Même s’il n’y avait qu’un petit nombre de cas aigus de Covid-19, l’accès au niveau élevé de soins requis pour les cas les plus graves serait limité.
La prévention est le meilleur moyen de protéger les réfugiés et les communautés d’accueil.
Pourquoi est-il important de veiller à ce que les réfugiés, les demandeurs d’asile, les apatrides et les migrants aient accès aux installations et aux services de santé sans subir de discrimination ?
Le Covid-19 démontre clairement que nous sommes tous connectés – peu importe où nous vivons, peu importe qui nous sommes. Il ne connaît aucune religion, aucune ethnie, aucune frontière. Toutes les personnes, en particulier les plus vulnérables – y compris les réfugiés, les demandeurs d’asile et les apatrides – doivent pouvoir accéder aux services de santé.
Le fait est que tout le monde est gagnant lorsque ces groupes ont accès aux services de santé. C’est dans l’intérêt de tous. Cela permet d’arrêter la propagation du virus. Cela doit rester notre priorité essentielle.
Des politiques inclusives et non discriminatoires sont nécessaires pour lutter contre le Covid-19. Sinon, les obstacles aux soins de santé et la discrimination créent un environnement dans lequel les malades ne sont pas traités, les cas ne sont pas détectés et le virus se propage.
Le virus suscite des craintes et des angoisses profondes au sein des populations et de la société dans tous les pays. Quelles sont les conséquences sur la santé publique si certains ciblent cette peur contre les réfugiés et d’autres personnes en marge de la société ?
Il est normal de ressentir de la peur et de l’anxiété, mais nous devons éviter que les gens ne canalisent cette peur et cette anxiété vers la xénophobie.
Par-dessus tout, blâmer les réfugiés pour une épidémie de Covid-19 pourrait avoir pour conséquence que les réfugiés ne se sentent pas en sécurité pour demander des conseils de santé voire même que des soins médicaux leur soient refusés. Cela ne serait de l’intérêt de personne.
Collectivement, nous n’avons jamais vécu une telle situation, avec la fermeture des frontières et la mise en quarantaine à l’échelle mondiale. Nous devons prendre des précautions pour préserver notre propre santé mentale et celle des personnes qui nous entourent.
Le HCR a fait face à de précédentes épidémies, notamment Ebola, le choléra, zika et le SRAS. Comment ces parcours et cette expertise sont-elles mises à profit dans la lutte contre la pandémie du Covid-19 ? Et quelles leçons pouvons-nous partager avec le monde entier de notre expérience dans la lutte contre la propagation des épidémies parmi les populations réfugiées ?
Nous avons tiré de nombreux enseignements clés de la réponse contre le virus Ebola et d’autres épidémies.
Tout d’abord, la préparation, la préparation, la préparation ! On ne saurait trop insister sur l’importance d’être prêt. C’est pourquoi le HCR a élaboré des plans et des mesures de préparation de grande envergure. Ceux-ci sont intégrés aux plans nationaux.
Deuxièmement, nous avons mis en place des méthodes éprouvées pour faire face à ce type d‘épidémies. Nous avons identifié des équipes de réponse aux épidémies pour chaque installation et chaque camp. Nous disposons de systèmes d’orientation pour les échantillons de laboratoire et nous prépositionnons du matériel de laboratoire, notamment des écouvillons, des conteneurs d’échantillons, et des systèmes de surveillance.
Nous avons également appris que les réponses multisectorielles sont essentielles. Une réponse unique et coordonnée regroupe l’eau, les installations d’assainissement et d’hygiène, la coordination et la gestion des camps, l’éducation, la planification des abris et des sites ainsi que la protection communautaire.
« Prévenir ou retarder les épidémies, en particulier parmi les plus vulnérables, est l’action la plus importante à entreprendre dès maintenant. »
Dans le passé, les épidémies ont montré l’importance d’impliquer les réfugiés eux-mêmes dès le premier jour, à la fois pour répondre à leurs préoccupations dans la lutte contre les épidémies et aussi pour s’assurer que nous prenons en compte les sensibilités sociales et culturelles.
Nous savons combien il est important d’assurer la continuité des services de santé prioritaires, afin de garantir qu’il n’y ait pas d’augmentation de la mortalité due à d’autres conditions de santé.
Un autre point crucial concerne le suivi de la protection. Il permet de s’assurer que les réfugiés et d’autres personnes relevant de la compétence du HCR ne sont pas exposés à des risques plus importants par des mesures qui ne sont pas fondées sur des motifs de santé publique, en raison de la désinformation, de la peur des étrangers ou d’autres attitudes stigmatisantes.
Et surtout, l’inclusion des réfugiés dans les réponses nationales est essentielle. Les maladies transmissibles ne peuvent être contrôlées qu’à l’aide d’une approche intégrée et inclusive. Les services de santé nationaux ont souvent besoin d’un appui, d’autant plus que les réfugiés ont trouvé abri dans des régions isolées et éloignées au sein de pays où les services de santé sont plus faibles.
- Voir aussi : L’épidémie de coronavirus est un test de nos systèmes, de nos valeurs et de notre humanité
Le HCR a-t-il augmenté ses stocks médicaux ? Qu’en est-il de la formation des travailleurs de la santé, des activités de sensibilisation auprès du grand public, de la surveillance des symptômes ?
Nous stockons des médicaments et du matériel médical essentiels, y compris des concentrateurs d’oxygène. Nous distribuons du savon pour la communauté, parallèlement à la sensibilisation à l’hygiène et à la distribution de désinfectant pour les mains aux travailleurs de santé et à d’autres employés travaillant dans les établissements de santé que le HCR appuie.
Nous avons intensifié la formation du personnel en matière d’identification précoce, de notification, de gestion des cas et de recherche des contacts, de collecte et d’analyse des données et d’interprétation.
Le système du HCR pour l’information sanitaire nous aide à suivre la situation. Il comprend un système d’alerte précoce pour prévenir les opérations dans les pays en cas de recrudescence des maladies respiratoires aiguës.
Pourriez-vous décrire votre rôle en tant que cheffe de la Section du HCR pour la santé publique, et votre travail actuel avec vos collègues en première ligne à travers le monde sur la lutte contre le Covid-19 ?
Nous travaillons avec les équipes du HCR pour la santé publique, ainsi qu’avec le personnel régional et national, pour assurer la préparation au niveau des pays. Nous sommes en contact régulier avec l’ensemble du personnel pour répondre aux questions et recueillir les réactions. Nous organisons des réunions hebdomadaires pour faire le point sur la situation Covid-19 ainsi que fournir de nouvelles orientations et des réponses aux questions relatives aux opérations du HCR. Nous examinons également comment soutenir nos opérations non seulement pour préparer la lutte contre le Covid-19 mais aussi pour assurer la continuité des services de santé essentiels.
Nous soutenons également les efforts de mobilisation des ressources et aidons les pays à identifier les lacunes et les besoins sur la base de la stratégie de réponse globale pour la lutte contre le Covid-19.
Quelles mesures concrètes le HCR prend-il pour faire face à une éventuelle épidémie dans un camp de réfugiés, ou parmi les très nombreux réfugiés qui vivent en dehors des camps ? Quels sont les défis que vous rencontrez ?
Nous avons constitué des stocks de fournitures, notamment d’équipements de protection individuelle (EPI) pour le personnel de santé. Nous achetons du désinfectant, des fournitures pour gérer les déchets médicaux, du matériel de laboratoire, des produits pharmaceutiques et des articles médicaux pour la gestion des cas.
Nous avons amélioré les conditions des équipements WASH [eau, assainissement et hygiène] et préparé des installations d’isolement dans certains camps et installations.
Les opérations du HCR dans les pays sont étroitement impliquées dans toutes les réunions de coordination dans la lutte contre le Covid-19 pour s’assurer que les réfugiés restent au cœur de la planification des programmes d’aide.
Nous formons les travailleurs de la santé sur les sites de réfugiés à la surveillance pour la lutte contre le Covid-19, à la gestion des cas et à la prévention et au contrôle des infections.
Nous surveillons les restrictions à la liberté de circulation et à l’accès aux systèmes d’asile fondées sur des craintes réelles ou perçues de transmission de coronavirus. Le HCR a adapté le matériel d’information, d’éducation et de communication pour tenir compte des besoins linguistiques et culturels des réfugiés.
A l’heure actuelle, le principal défi consiste à s’assurer qu’il n’y a pas d’obstacles à l’accès des réfugiés aux systèmes de santé nationaux. Un autre défi, comme pour la plupart des pays et organisations, est l’achat d’EPI, de médicaments et de fournitures pour le traitement des cas aigus de Covid-19.
Comment les donateurs et les sympathisants peuvent-ils contribuer aux efforts du HCR et de ses partenaires ?
Soutenez le HCR dès maintenant ! Il n’y a pas un jour à perdre. Soutenez nos plans de préparation et de réponse au Covid-19. Plus vous soutenez nos activités dans les domaines de la santé, d’eau, des installations d’assainissement et de protection par des contributions financières et en nature, plus nous serons en mesure de prévenir ou d’atténuer l’impact direct du Covid-19.
Les donateurs peuvent aider à stopper cette pandémie. En soutenant les opérations du HCR, ils peuvent également contribuer à réduire ses impacts secondaires de l’épidémie – perte des moyens de subsistance, perturbation de l’apprentissage et instabilité sociale potentielle.
Publie par le HCR, le 27 mars 2020