Photographe, auteure et militante, Samra Habib se penche sur son passé d’enfant réfugiée contrainte de mûrir trop vite à Toronto et sur les raisons de son combat pour l’égalité et le « sentiment d’appartenance. »
Par Hannah Scott à Toronto, Canada
Lorsqu’elle était enfant au Pakistan, Samra et les siens, tous musulmans ahmadis, étaient souvent menacés par des extrémistes. Elle n’avait que 10 ans lorsque sa famille a été forcée de fuir pour s’installer au Canada. Dans sa biographie très remarquée Nous avons toujours vécu ici, Samra expose les difficultés rencontrées par une jeune réfugiée dans un nouveau pays et retrace son parcours personnel qui l’a amenée à se découvrir pleinement.
Musulmane et homosexuelle, Samra évoque ses difficultés pour trouver la sécurité – et un sentiment d’appartenance – face à l’homophobie, aux intimidations et autres provocations. Elle explore la sexualité homosexuelle dans ce récit biographique qui offre un témoignage fort de l’acceptation de soi.
Dans ce mémoire, vous exposez une identité située au croisement de l’homosexualité, de l’appartenance à la religion musulmane, du statut de réfugiée, de la nationalité canadienne et d’autres traits. Nous avons toujours vécu ici est une première œuvre très personnelle qui explore ce nexus et les obstacles auxquels il vous a confrontée. Comment avez-vous vécu l’écriture de ce premier roman où vous retracez tant d’expériences et de questions personnelles difficiles ?
Cela m’a fait du bien de mettre à l’écrit l’impact de tous les traumatismes que j’ai vécus durant mon existence du fait de mon statut de réfugiée et de personne de couleur. Cela m’a permis de me voir moi-même pour la première fois et de ressentir plus de bienveillance envers moi-même.
Votre projet photo intitulé « Entre Allah et moi » que vous évoquez dans votre biographie est une collection de portraits et de récits de musulmans homosexuels. En quoi était-ce différent pour vous de relater votre propre expérience dans un récit biographique ?
Ça n’a pas été facile. Je préfère être derrière la caméra et rester observatrice pour exposer l’histoire des autres. Mais j’ai vu l’avantage que je pouvais retirer de la narration de ma propre histoire parce que l’expérience des musulmans homosexuels n’a jamais été exposée dans notre culture.
Vous avez écrit sur Twitter que « s’installer au Canada comme réfugiés a été l’une des expériences les plus douloureuses pour moi-même et les membres de ma famille. » Pouvez-vous nous raconter comment vous avez vécu le passage du Pakistan au Canada ?
J’ai dû grandir extrêmement vite. L’une des choses dont beaucoup de gens n’ont selon moi pas conscience au sujet des enfants réfugiés, c’est qu’ils passent souvent à côté de leur enfance. J’ai dû devenir le parent assez rapidement parce que mes propres parents ne parlaient pas anglais, alors j’ai dû les accompagner chez le médecin afin de traduire pour eux.
Vous êtes arrivée à Toronto avec votre famille réfugiée à un jeune âge. Quels sont les problèmes auxquels les enfants réfugiés sont confrontés et comment les Canadiens et leurs communautés peuvent-ils leur venir en aide ?
Je pense qu’il faudrait avant tout créer des changements systémiques pour s’assurer que les enfants réfugiés soient aidés selon des modalités qui reconnaissent les traumatismes et les obstacles très spécifiques auxquels ils sont confrontés du fait de leur déracinement.
Le 17 mai est la Journée internationale contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie (IDAHOT) qui a cette année pour thème Briser le silence. En quoi est-il important d’amener ces questions au premier plan du débat, surtout pour des groupes doublement vulnérables tels que les réfugiés ?
Selon moi, il est important d’amener ces questions au premier plan du débat pour créer des espaces inclusifs où une vaste gamme de perspectives peut être prise en compte. Les problématiques des LGBTQ+ doivent être des questions universelles qui poussent à s’interroger sur la façon dont nous parlons de l’inégalité et de l’accès aux opportunités. Elles doivent contribuer à ouvrir nos perspectives en matière d’égalité et créer un sentiment d’appartenance.
Le HCR s’efforce de soutenir les réfugiés LGBTI en veillant à les protéger en tant que réfugiés et à leur offrir des espaces de sécurité. En tant qu’ambassadrice des homosexuels, quels sont les types d’aide les plus importants pour les réfugiés LGBTI ?
Il est vraiment important de créer un sentiment d’appartenance et des espaces où ils se sentent validés. Pour moi, nous voyons souvent les réfugiés LGBTQ+ comme « l’autre » et nous devons favoriser des transformations systémiques dans notre environnement immédiat pour nous assurer que nous travaillons à leurs côtés en tant que partenaires à part égale et engendrer ainsi des mutations systémiques et des évolutions culturelles.
Votre récit biographique a été sélectionné pour le concours Canada Reads 2020. Comment avez-vous vécu cela jusqu’ici ? Et qu’est-ce que ça signifie pour vous de voir votre livre sélectionné pour représenter ce qui a été défini par la Canadian Broadcasting Corporation (CBC) comme « un ouvrage offrant un gros plan sur le Canada ? »
C’est un immense honneur de voir que le récit de mon expérience de musulmane homosexuelle a été retenu pour contribuer à notre expérience canadienne collective. Cela me rend très heureuse de savoir que des personnes qui n’auraient jamais entendu parler de mon livre en d’autres circonstances pourront le découvrir grâce au concours Canada Reads.
Nul ne devrait avoir à fuir son foyer à cause de son orientation sexuelle ou de son identité de genre. Faites un don aujourd’hui pour soutenir les réfugiés LGBTI.