Après que les eaux aient submergé leur village, Nyeritea Kay Nakney et ses trois enfants se sont rendus en canoë dans un camp pour déplacés internes à Bentiu, au Soudan du Sud (mars 2023). © HCR/Andrew McConnell

Cinq mythes à briser sur le changement climatique et les déplacements

Par Kristy Siegfried


La crise climatique et les déplacements humains sont de plus en plus interconnectés. Non seulement les catastrophes liées au climat ont provoqué plus de la moitié des nouveaux déplacements signalés en 2022, mais près de 60 % des réfugiés et des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (« déplacés internes ») vivent aujourd’hui dans des pays qui comptent parmi les plus vulnérables au changement climatique.

Nous comprenons de mieux en mieux ces liens, mais les façons dont notre climat, qui change rapidement, force les personnes à se déplacer et rend la vie de celles qui sont déjà déplacées plus difficile sont complexes et évolutives. Cela a permis aux mythes et à la désinformation de se répandre. Voici cinq des mythes les plus courants associés à la crise climatique et aux déplacements, suivis des faits que nous connaissons.

Mythe 1 : Le changement climatique déclenchera des mouvements transfrontaliers à grande échelle du Sud global vers le Nord global

Les conséquences du cyclone Mocha sur le village de Dar Paing dans l’État de Rakhine au Myanmar (juin 2023). © HCR/Reuben Lim Wende

Faits : L’idée qu’un grand nombre de personnes fuyant le changement climatique dans les pays du Sud global se rendront vers les pays du Nord global n’est pas étayée par les données actuelles. La majorité des personnes forcées de fuir en raison de catastrophes liées au climat se déplacent à l’intérieur de leur propre pays. En 2022, par exemple, les catastrophes ont provoqué un nombre record de 32,6 millions de déplacements internes, dont 98 % ont été causés par des risques météorologiques tels que des inondations, des tempêtes, des feux de forêt et des sécheresses, selon l’Observatoire des situations de déplacement interne (IDMC).

Les données sont plus limitées sur les mouvements transfrontaliers faisant suite à des catastrophes, mais nous savons que 70 % des réfugiés vivent dans des pays voisins du leur. Qu’elles fuient un conflit ou une catastrophe, les personnes préfèrent rester le plus près possible de leur foyer et de leur famille. Les personnes forcées de quitter une zone gravement affectée par le changement climatique sont également moins susceptibles d’avoir les moyens de se déplacer sur de longues distances.

Mythe 2 : Les personnes déplacées par le changement climatique sont des « réfugiés climatiques »

Une femme déplacée à cause d’une grave sécheresse en Éthiopie retourne vers son abri après avoir acheté des provisions grâce aux aides en espèces qu’elle a reçues du HCR. © HCR/Tiksa Negeri

Faits : L’expression « réfugiés climatiques » est souvent utilisée dans les médias pour décrire les personnes forcées de quitter leur foyer en raison d’événements liés au climat, mais elle n’est pas officiellement reconnue en droit international. Comme indiqué plus haut, la plupart des déplacements liés au climat ont lieu à l’intérieur des pays, alors que la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés n’offre une protection qu’aux personnes fuyant la guerre, la violence, les conflits ou les persécutions et qui ont franchi une frontière internationale pour trouver la sécurité. Bien que la Convention de 1951 ne s’applique pas aux déplacements qui ont lieu uniquement dans le contexte du changement climatique ou de catastrophes, elle peut s’appliquer lorsque le risque de persécution ou de violence encouru par une personne est accru par le changement climatique. Par exemple, dans le nord du Cameroun en 2021, des centaines de personnes ont été tuées et des dizaines de milliers ont fui vers le Tchad voisin à la suite de violences entre éleveurs et pêcheurs, déclenchées par la diminution des ressources en eau liée au changement climatique.

Les textes régionaux sur les réfugiés peuvent également offrir une protection. La Convention de l’Organisation de l’unité africaine et la Déclaration de Carthagène pour l’Amérique latine englobent toutes les deux dans leur définition d’un réfugié les personnes cherchant refuge en raison d’événements « troublant gravement l’ordre public », ce qui pourrait inclure les événements liés au climat.

Mythe 3 : Les « déplacements liés au climat » ne concernent que les personnes fuyant des phénomènes météorologiques extrêmes

Une femme passe devant une grande flaque d’eau créée par des pluies récentes à Dori, au Burkina Faso. © HCR/Nana Kofi Acquah

Faits : Comme le changement climatique entraîne des phénomènes météorologiques plus fréquents et plus extrêmes, de plus en plus de personnes sont déplacées à cause des inondations, des cyclones et des sécheresses. Les quelque 32 millions de déplacements provoqués par les catastrophes météorologiques en 2022 représentent une augmentation de 41 % par rapport aux niveaux de 2008. Mais outre les déplacements résultant directement de conditions météorologiques extrêmes, le changement climatique est ce que nous appelons un « multiplicateur de menaces » : il amplifie l’impact d’autres facteurs pouvant contribuer aux déplacements, tels que la pauvreté, la perte des moyens de subsistance et les tensions liées à la diminution des ressources, créant en fin de compte des conditions susceptibles de conduire à des conflits et à des déplacements. Au Burkina Faso, par exemple, certaines des pires violences et déplacements de ces dernières années ont eu lieu dans les régions les plus pauvres et les plus touchées par la sécheresse, où les groupes armés ont exploité les tensions liées à la diminution des sources d’eau et des terres arables. Dans le même temps, la violence et les conflits peuvent gravement compromettre la capacité des gouvernements à répondre aux effets du changement climatique.

Cette compréhension du changement climatique, comme n’étant pas seulement un facteur direct de déplacement mais aussi un « multiplicateur de menaces », est un élément clé de la réponse du HCR.

Mythe 4 : Nous pouvons prédire le nombre de personnes qui seront déplacées de force par le changement climatique

Pour lutter contre la désertification dans la région de l’Extrême-Nord du Cameroun, les déplacés internes et la population locale ont planté 2000 arbres dans le site de Bogo pour déplacés internes. © HCR/Eugene Sibomana

Faits : Si nous savons que les catastrophes soudaines déplacent des millions de personnes à travers le monde, les liens complexes entre le climat et d’autres facteurs, tels que les conflits et la fragilité, font qu’il est difficile de savoir combien de déplacements peuvent être attribués au seul changement climatique.

Il est encore plus difficile de prédire le nombre de personnes qui seront déplacées à l’avenir, car ce chiffre dépendra en grande partie des mesures que nous prenons aujourd’hui pour limiter l’augmentation de la température mondiale et nous adapter à l’évolution du climat. Le mieux que nous puissions faire est d’utiliser les données disponibles pour modéliser les tendances, y compris les risques climatiques futurs, afin d’anticiper la vulnérabilité des différentes populations et d’identifier les efforts d’adaptation et de préparation qui peuvent atténuer ces risques et les déplacements futurs. Le Projet d’analyse prédictive au Sahel, par exemple, identifie les principaux facteurs de vulnérabilité au Sahel – notamment le changement climatique – et fournit ensuite des prévisions sur la manière dont ces risques peuvent évoluer à l’avenir en fonction de notre capacité à réagir de manière proactive.

Mythe 5 : Il est trop tard pour agir afin de prévenir les déplacements liés au changement climatique

Des membres d’une brigade de pompiers réfugiés volontaires combattent un feu de brousse près du camp de Mbera, en Mauritanie, à l’aide de branches. © HCR/Colin Delfosse

Faits : Il est vrai que le climat est déjà en train de changer et que la température moyenne est aujourd’hui supérieure d’environ 1,1°C à ce qu’elle était à la fin des années 1800. Mais il n’est pas trop tard pour agir, que ce soit pour réduire les émissions afin de minimiser le réchauffement de la planète, ou pour investir dans l’adaptation qui augmente la résilience des populations vulnérables et réduit le risque que des personnes soient déplacées ou subissent d’autres conséquences négatives. Nous pouvons aider les populations à mieux se préparer aux phénomènes météorologiques extrêmes et à s’adapter au changement du climat. Nous pouvons également nous attaquer à certaines autres causes profondes des déplacements qui sont amplifiées par le changement climatique, telles que la pauvreté, l’inégalité et la violence.

Les réfugiés et les déplacés internes font partie de ceux qui prennent des mesures pour renforcer la résilience et s’adapter aux effets du changement climatique, par exemple grâce à des projets de plantation d’arbres, des campagnes de sensibilisation, des efforts de préparation aux catastrophes et de lutte contre les feux de brousse. Lors de la Conférence des Nations Unies sur le changement climatique qui se tient cette année à Dubaï (COP28), ils demandent un soutien accru aux organisations dirigées par des réfugiés qui mènent de telles interventions, ainsi qu’un siège à la table des négociations afin de s’assurer que les décisions qui les concernent ne sont pas prises sans eux.

Publie par le HCR, le 15 novembre 2023.

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