Le football fait désormais partie de l’essence même de la vie des jeunes dans le camp de Kakuma et permet aux réfugiés de faire montre de leur talent et de poursuivre leurs rêves.
Par Samuel Otieno et Kathryn Porteous, dans le camp de réfugiés de Kakuma, Kenya
Alors que le soleil décline à l’horizon, allongeant les ombres sur le terrain de football poussiéreux du camp de réfugiés de Kakuma, dans le nord-ouest du Kenya, un joueur – Abdirahman Sheuna – se distingue des autres, pas seulement par ses feintes habiles et son jeu de jambe, mais parce que la plupart des autres joueurs le dépassent de plus d’une tête.
À 14 ans à peine, la volonté d’Abdirahman de se mesurer à des garçons plus âgés et à de jeunes hommes témoigne de son ambition et de sa passion pour le « beau jeu ». Ses pieds se déplacent avec grâce sur le terrain aride et inégal, laissant dans leur sillage des nuages de poussière et des défenseurs leurrés. De son pouce levé, son entraîneur le félicite avec fierté.
Abdirahman s’entraîne pour un tournoi interscolaire de haut niveau organisé par le HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, et le Gouvernement du comté de Turkana. Cette manifestation, appelée le « Festival de football de Kakuma pour les écoles », a coïncidé avec la Coupe d’Afrique des nations (CAN), qui vient de s’achever.
« Quand je joue avec des enfants de mon âge, je n’ai pas l’impression de devoir relever un défi. J’apprends beaucoup en jouant contre des joueurs plus âgés, » explique Abdirahman.
Les jeunes représentent la majorité des 275 000 réfugiés qui vivent au Kenya, et le football est de loin le loisir le plus populaire. Il fait désormais partie de l’âme même du camp, avec 26 équipes de joueurs et de joueuses professionnels à Kakuma et des centaines d’équipes amateurs, offrant aux jeunes l’occasion unique d’exprimer leur talent et de poursuivre leurs rêves.
Abdirahman Sheuna (in red jersey) battles for the ball against players from a local primary school at the “Kakuma Football Festival for Schools”. © UNHCR/Samuel OtienoAbdirahman est né à Kakuma en 2010, deux ans à peine après que ses parents et ses frères et sœurs sont arrivés au Kenya, fuyant le conflit en Somalie.
« Kakuma est un endroit agréable. Il n’y a pas de guerre. C’est calme », déclare-t-il. « Si j’ai la chance de partir pour aller ailleurs, bien plus loin, il y a beaucoup de choses qui me manqueront. »
Après une longue séance d’entraînement, Abdirahman rentre chez lui avec ses coéquipiers, chacun parlant de ses espoirs pour l’avenir.
« À Kakuma, on a tous des rêves : certains veulent devenir de grands footballers et changer d’endroit, d’autres veulent devenir des musiciens renommés, mais … on n’a pas l’occasion de montrer notre talent, » explique-t-il.
Le football compte désormais beaucoup dans la vie d’Abdirahman et est devenu une force unificatrice parmi les différentes communautés du camp où il vit, réunissant des joueurs de différentes cultures et de différentes origines.
« Kakuma a une longue histoire de réussite sportive et le HCR est conscient que le sport peut être un outil de protection important », déclare Nicolas Kaburaburyo, chef de la sous-délégation du HCR à Kakuma. « Ici, dans le camp, le football donne un sentiment d’appartenance aux réfugiés, stimule leur confiance en soi et leur offre une source d’espoir, eux qui sont loin de chez eux. Nous continuerons à travailler avec la communauté des réfugiés et les partenaires afin de renforcer les activités sportives. »
Chez lui, le père d’Abdirahman, Sheuna Hamadi Hussein, qui était lui aussi footballer dans sa jeunesse, dit de son fils qu’il n’a peur de rien.
« Moi aussi, je jouais avec le maillot numéro 6 », déclare-t-il. « Mais il est meilleur que moi, il est plus rapide. Les joueurs plus âgés essaient parfois de le faire tomber parce qu’il les gêne. Mais il n’aime pas jouer avec d’autres garçons [de son âge], il aime jouer parmi les adultes. »
« J’ai l’espoir qu’un jour, la vie d’Abdirahman, et la nôtre, pourra changer grâce au football », ajoute Sheuna.
Malgré le talent et la motivation d’Abdirahman, son rêve de devenir joueur professionnel se heurte à de nombreux obstacles, dont l’absence d’équipement correct et d’espace pour jouer, car de nombreux terrains disparaissent, avalés par les maisons construites pour loger la population toujours plus nombreuse du camp.
« On manque de ballons et de maillots, et de bien d’autres choses encore. Mais malgré tout, on utilise tout ce qu’on peut pour s’entraîner », explique-t-il.
Le jour du tournoi, l’équipe d’Abdirahman a joué dans la catégorie des moins de 14 ans, mais elle a été battue au premier tour par une équipe de l’école primaire locale Pokotom.
Abdirahman a accepté ce revers, mettant à profit son expérience pour se motiver davantage encore, et s’inspirant de son héros, Sadio Mané, dont l’équipe sénégalaise a perdu face à la Côte d’Ivoire, nation hôte, en quarts de finale du dernier tournoi de la CAN.
« Je déteste finir un match sans avoir marqué, alors, je me dis que je dois continuer et m’entraîner plus dur, » explique-t-il. « Je rêve d’être comme Sadio Mané parce qu’il a de l’expérience … il est fort et il croit en lui-même quand il joue. »
De retour à l’école, Abdirahman montre fièrement la médaille qu’il a gagnée pour avoir participé au tournoi, tout en racontant à ses camarades les exploits qu’il a accomplis sur le terrain.
« Quand je joue au football, je me sens vraiment bien, je me sens célèbre, j’ai l’impression d’être le meilleur. »
« Quand je joue avec des enfants de mon âge, je n’ai pas l’impression de devoir relever un défi. »
Abdulrahman Sheuna