Woman sits in cockpit of airplane.

Nour Utayim est assis dans le poste de pilotage. Photo courtoisie de Nour Utayim.

Nour Utayim commence une carrière en aviation et devient la première femme réfugiée pilote au Canada

Par Levon Sevunts


Quand Nour Utayim met son casque d’écoute, le monde chaotique à l’extérieur du poste de pilotage de l’avion passager Air Inuit devient calme. Alors qu’elle prépare l’aéronef pour un long parcours au-dessus des grandes étendues des forêts boréales et de la toundra, ses pensées se réduisent à une liste précise de vérification de vol. 

Batteries – toutes allumées – Fait. 

Barre principale de distribution électrique – Fait. 

Système de génération de courant continu – allumé. Fait. Et ainsi de suite jusqu’au bas de la liste de contrôle avant le vol. 

Il n’y pas de place sur cette liste de contrôle pour les inquiétudes au sujet de la famille et des amis en Syrie ou au Liban, pas d’espace pour ruminer une dispute avec un être aimé.  

« Dès je mets mon casque d’écoute, je me déconnecte de l’extérieur, dit la jeune ex-réfugiée syrienne de 27 ans. « Alors, si j’avais un désaccord avec quelqu’un la nuit d’avant, je ne serais pas capable d’y penser même si je le voulais. » 

Nour n’est pas l’un des pilotes de brousse stéréotypés dont les vols casse-cou ont permis de relier des communautés autochtones isolées ou des camps miniers au continent, à l’aube de l’aviation dans le nord du Canada. Mais son âme de pionnière l’a menée à apprendre comment faire voler un avion même avant qu’elle ait obtenu un permis de conduire.    

Nour Utayim avec un avion Dash 8 au terminal FBO d’Air Inuit, à l’aéroport international de Montréal. Photo courtoisie de Nour Utayim.

Nour avait 17 ans quand la crise en Syrie l’a obligée à fuir sa maison familiale à Damas vers le Liban voisin. Elle a appliqué à l’Université arabe de Beyrouth afin de poursuivre sa première passion – l’architecture. 

« J’ai vécu là pendant un couple d’années sans ma famille, mais la situation ne s’améliorait pas ni au Liban ni Syrie, » dit-elle.  

Alors qu’elle travaillait dans un restaurant syrien de Beyrouth, Nour dit qu’elle gagnait à peine suffisamment d’argent pour joindre les deux bouts. 

Quand sa tante au Canada – celle qui avait payé ses études – n’a pu continuer à le faire, elle a dû abandonner ses cours.  

« Je suis alors retournée en Syrie pendant six mois pour essayer de nouveau mais ça n’était pas sécuritaire. Je ne voyais aucun avenir là. » Elle est donc encore une fois retournée au Liban.   

« Je rêvais d’un meilleur avenir… »

Désespérée de pouvoir échapper à l’insécurité en Syrie et face à l’effondrement économique au Liban, la famille de Nour a commencé à chercher une porte de sortie. Le Canada s’imposait comme un rêve lointain.  

« Je rêvais d’un meilleur avenir en imaginant quelle serait ma vie là-bas, » raconte Nour. 

En novembre 2015, le nouvellement élu Premier Ministre Justin Trudeau formulait le vœu de réinstaller 25,000 réfugiés syriens au Canada à l’intérieur d’une période de 100 jours. Une partie de ces réfugiés syriens seraient parrainés par le gouvernement fédéral et une autre par des personnes privées.  

La tante de Nour, qui avait déménagé à Montréal quelques années auparavant, a convaincu un groupe confessionnel de parrainer les Utayim – Nour, sa mère et deux frères.   

Mais l’attente pour le visa canadien convoité devenait de plus en plus aggravante davantage chaque jour.  

« C’était la plus difficile période de ma vie au Liban, » dit Nour.  

Avec l’aggravation de la situation économique au Liban, Nour commence à envisager d’autres avenues.  

« J’ai regardé autour afin de voir comment me rendre en Allemagne, explique Nour. J’ai vu des gens qui allaient en Turquie. Ils prennent un bateau pour la Grèce et certains d’entre eux survivent, d’autres non. »   

Heureusement, les documents canadiens ont été transmis avant que Nour ne soit force de joindre des milliers de ses compatriotes dans un périlleux voyage vers l’Europe. 

Les Utayim ont atterri à Montréal en février 2017.  

« Je me souviens d’avoir été choquée par la quantité de neige, dit Nour. Je ne savais pas comment m’habiller et je suis devenue malade deux jours plus tard seulement à cause du froid. Mais on apprend vite comment y faire face. » 

Grâce à la générosité et à l’accueil chaleureux de leur parrain, la famille s’est rapidement adaptée à leur nouvelle vie. Ils se sont installés à Saint-Bruno en banlieue de Montréal, non loin de l’aéroport de Saint-Hubert, lequel offre un certain nombre de cours de pilotage. 

Nour commence à apprendre le français afin de devenir une architecte.  

Mais un de ses projets scolaires en langue française impliquait la rédaction d’un essai relatif à un parcours de carrière.  Considérant que son père et avant lui son grand-père étaient des pilotes d’avion en Syrie, en plus du bourdonnement constant d’avions décollant et atterrissant à l’aéroport voisin, Nour décide d’explorer une carrière en aviation.  Elle va donc à l’école de pilotage afin de faire les recherches pour son projet scolaire. Et plus elle explorait, plus le pilotage d’avion devenait intéressant et attrayant. 

Mais aussi très effrayant.  

Cela coûte autour de $70,000 pour étudier dans une école de pilotage.  

Two people stand in front of a plane that says Air Inuit. The person to the right has her arms stretch out to the ceiling and is smiling.

Nour Utayim (à gauche) et Melissa Haney (à droite) se rencontrent pour la première fois en 2019 lors de la tournée transnationale d’Elevate Aviation à Montréal.

« C’est beaucoup d’argent. Quand je suis arrivée ici, j’avais $200, » dit Nour. Alors je devais prendre une grande décision parce que je n’avais pas l’argent. J’allais emprunter l’argent et donc avoir un plan B, C et D. »  

Après l’obtention d’un prêt étudiant de la banque, Nour a commencé son entraînement de vol en février 2018, presque exactement un an après son arrivée au Canada. Au moment d’obtenir son diplôme, Nour a tellement fait bonne impression à l’école d’aviation, qu’on lui a offert un poste comme instructrice de vol.  

Elle accumule des heures de vol et obtient un emploi à Rouyn-Noranda, une ville minière localisée à 500 kilomètres environ au nord-ouest de Montréal.  

Avec plus d’heures de vol et d’expérience à son actif, Nour a finalement postulé un emploi chez Air Inuit, qui dessert les communautés éloignées de la région du nord du Nunavik au Québec. 

Melissa Haney, une femme pilote pionnière, est devenue le mentor de Nour chez Air Inuit. Les deux femmes se sont rencontrées en 2019 lors d’un événement organisé par Elevate Aviation, une association à but non lucratif dédiée à l’initiation des femmes aux métiers de l’aviation. 

Two people stand next to each other for a selfie with an orange lanyard that says Air Inuit on it.

Melissa Haney (à gauche) et Nour Utayim (à droite) se rendent à Edmonton pour le gala Elevate Aviation en 2022, où Nour a reçu le prix Inspire. Photo courtoisie de Melissa Haney.

Première femme inuite à devenir capitaine d’un avion de passagers, Melissa était conférencière lors de l’événement et dit qu’elle se souvient de l’enthousiasme et de la curiosité de Nour. 

« Elle voulait tout savoir à propos de l’aviation et toutes les histoires des conférenciers », se souvient Mélissa. « J’étais attirée par elle et son énergie. » 

« Je suis tellement fière d’elle et de qu’elle fait et ce qu’elle a fait. »

Les deux sont restés en contact par la suite et c’est Melissa qui a parlé à Nour de l’ouverture d’un poste chez Air Inuit. 

« Je suis tellement fière d’elle et de qu’elle fait et ce qu’elle a fait, » dit Melissa. « Elle est une vraie intrépide. » 

Pour Nour, tout est une question de chance et de courage. 

« Je pense que j’ai été très chanceuse. Mais j’étais aussi très motivée, » dit Nour. 

« Si vous retirez l’un de ces facteurs de l’équation, cela n’aurait pas fonctionné. Si j’étais motivée, mais pas assez chanceuse pour être parrainée ici, ça n’aurait pas marché. Et si j’avais eu la chance d’être parrainée, mais que je n’étais pas assez motivée pour aller à l’école de pilotage et économiser de l’argent et tout ça, ça n’aurait pas marché non plus. » 

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