Nhial Deng est un réfugié sud-soudanais vivant dans le camp de réfugiés de Kakuma au Kenya. « À l’école, j’ai trouvé du réconfort, de l’espoir et la résilience ». ©HCR/Samuel Otieno

Pour comprendre les problèmes auxquels se sont trouvés confrontés les élèves réfugiés lorsque le coronavirus s’est propagé dans le monde entier, nous avons demandé à deux membres du Conseil pour l’éducation des réfugiés — l’une à Lima, au Pérou, et l’autre dans le camp de réfugiés de Kakuma, de se poser mutuellement des questions sur la manière dont chacun avait réagi, s’était adapté et avait persévéré malgré les perturbations constantes de l’enseignement.

Nhial Deng, 22 ans, a fui à Kakuma en 2010 après une attaque armée contre son village en Éthiopie. Parmi les nombreux autres projets auxquels il participe, il préside les Jeunes ambassadeurs réfugiés de la paix à Kakuma, initiative qui promeut la coexistence pacifique entre les communautés dans le camp et permet aux jeunes de devenir des artisans de la paix et des entrepreneurs sociaux. Il commencera l’université au Canada cette année universitaire.

Yvana Portillo, 15 ans, a fui le Venezuela avec sa famille en 2017. Vivant actuellement à Lima, au Pérou, elle a bien réussi dans son nouvel environnement, surmontant la faim et le manque d’argent pour devenir première de sa classe au lycée, et plaide pour une éducation accessible et de qualité.

Yvana : Bonjour Nhial ! Tu es où en ce moment et comment vont tes études ?

Nhial : Je suis dans le camp de réfugiés de Kakuma et je me prépare à partir pour le Canada en août pour commencer au Collège universitaire Huron le mois suivant. J’espère suivre les études sur les droits mondiaux, et des modules secondaires en anglais et études culturelles. Je n’ai pas été à l’école depuis janvier, date à laquelle j’ai fini un cours d’un an sur la réalisation de films et le journalisme animé par une organisation appelée FilmAid. Je devais terminer en décembre mais nos études ont été perturbées par le Covid et tous les cours ont été suspendus.

On nous a renvoyés chez nous mais je n’avais pas accès à Internet ni l’électricité et je vis dans un campement avec plus de dix personnes — alors, ce n’était pas facile de trouver un endroit juste pour moi, où je pouvais étudier tranquillement. Et toi Yvana ? Comment se passent tes études ?

Yvana Portillo, une réfugiée vénézuélienne de 15 ans, étudie dans sa chambre à son domicile à Lima, au Pérou. ©HCR/Sebastian Castañeda

Yvana : J’étudie toujours dans ma chambre. Au début, j’ai cru que le virus et les restrictions ne dureraient pas longtemps — un mois ou deux peut-être. Mais au bout de quelques semaines à l’école, on nous a renvoyés chez nous. Alors, j’ai compris que ça ne s’arrêterait pas si vite.

Le plus dur a été de s’adapter aux cours à distance — pour moi, c’était encore plus dur que de ne pas pouvoir sortir ou voir mes amis.

Nhial : Tu avais ce qu’il fallait pour les cours virtuels ?

Yvana : Pas au début. On avait un téléphone portable et un ordinateur portable mais mes parents sont enseignants et ils avaient besoin de l’ordinateur pour faire cours et pour partager leur écran et tout ça. Mon frère et moi, on avait juste le téléphone.

Après, on n’a pas eu d’électricité pendant une semaine et demie. On est allés chez une amie de ma mère pour qu’on puisse suivre les cours et que mes parents puissent enseigner. Heureusement, ils ont pu acheter un autre téléphone. Et toi ? Tu as dit que tu n’avais ni Internet ni l’électricité…

Nhial : J’allais dans un cybercafé — ils [les organisateurs du cours] ont créé une classe Google et nous ont envoyé les cours, les documents et les vidéos. Comme ça, on a pu tout télécharger et suivre les cours sans être connecté — j’ai eu de la chance d’avoir un ordinateur, la plupart des réfugiés ici n’en ont pas, et FilmAid nous a fourni des paquets de données. Je téléchargeais le contenu et j’attendais que tout le monde dorme chez moi pour pouvoir étudier.

Tu as réussi à t’adapter à l’enseignement en ligne ?

Yvana : On a un tuteur qui nous aide pour les cours en ligne. Mais ce sont nos professeurs qui avaient des problèmes — ils n’étaient pas aussi habitués que nous [les élèves] à la vie en ligne, ils ne savaient pas bien comment allumer leur micro ou leur appareil photo ou partager leur écran. Ils n’ont peut-être pas autant l’habitude de la technologie que nous mais ça fait plus d’un an maintenant, et ça va mieux.

Comment as-tu réussi à rester motivé ?

Nhial : Ma formatrice pour le cours de journalisme m’a beaucoup aidé — elle est kényane et j’étais très proche d’elle. J’aime contacter les personnes en qui j’ai confiance, dont je sais qu’elles peuvent m’aider à surmonter n’importe quel problème. Donc, je l’appelais ou le lui envoyais un texto tous les jours.

L’un des conseils qu’elle m’a donnés, qui a été très précieux, c’est qu’il y a très peu de possibilités dans ce monde et que tout le monde se bat pour elles. Alors, elle m’a dit d’être très énergique, de chercher à faire ce qu’il y a de mieux dans chaque situation. Et c’est ce que je fais, j’essaie de trouver des moyens de me propulser vers de nouveaux sommets.

Tu es impatiente de retourner à l’école ?

Yvana : Oh oui ! Je préfèrerais 1000 fois aller à l’école plutôt que suivre des cours virtuels. On étudie mieux. Ou parfois, la connexion Internet [à la maison] s’interrompt et on est obligé de s’arrêter.

Mais je dois dire que j’ai de meilleures notes maintenant que quand j’allais en classe ! Je pense que c’est parce que je peux faire plus de recherches sur Internet, chercher des vidéos sur YouTube qui expliquent les sujets que je dois étudier. Et j’ai mes parents près de moi qui peuvent m’aider pour mes devoirs. Donc, j’arrive mieux à trouver des informations.

Nhial : Alors, tu penses que l’enseignement numérique devrait jouer un rôle plus grand dans l’éducation, même après la pandémie ?

Yvana : Oui — l’apprentissage devrait prendre en compte cet aspect. Les outils numériques peuvent beaucoup nous aider à l’école. Si je pouvais adresser une recommandation aux gouvernements, ce serait de fournir aux réfugiés les ressources dont ils ont besoin, y compris l’accès aux informations numériques.

Nhial : Je suis d’accord, bien que je considère le problème sous deux angles. Premièrement, je pense que l’école devrait continuer — je pense à mon propre parcours, quand je suis arrivé à Kakuma pour la première fois, j’étais perdu, j’étais dévasté, j’étais frustré. J’avais des cauchemars sur la violence dont j’avais été témoin quand j’ai fui mon village en Éthiopie. À l’école, j’ai pu trouver du réconfort, de l’espoir et la résilience. C’était un endroit sûr, où je pouvais envisager un avenir radieux.

Et j’ai vu tellement d’autres jeunes venus de différents endroits et qui avaient enduré tant de choses. Ils suivaient un enseignement parce qu’ils pensaient que c’était leur passeport pour un meilleur avenir. Donc, je pense que l’école physique doit exister.

Mais je pense aussi qu’il faut une part d’enseignement numérique. L’éducation doit être l’occasion pour des personnes vivant dans différentes parties du monde de se réunir et d’apprendre ensemble. L’occasion pour quelqu’un qui vit en Amérique du Nord de connaître une personne qui se trouve à Kakuma, pour une personne de Kakuma de connaître quelqu’un en Europe. Chaque école devrait être connectée à Internet pour permettre à des personnes de milieux différents et vivant dans des lieux différents de partager des idées et des connaissances — et de nouer des amitiés.

Conseil pour l’éducation des réfugiés: Le Conseil pour l’éducation des réfugiés, hébergé par Vision Mondiale Canada, a été lancé par le gouvernement du Canada en février 2021 dans le cadre de la campagne Ensemble pour l’apprentissage. Le conseil a été créé en consultation avec le Groupe de travail sur la politique canadienne en matière d’éducation internationale, réseau de partenaires oeuvrant dans le domaine du développement qui cherchent à promouvoir l’éducation pour les enfants et les jeunes réfugiés. Il est composé d’étudiants, d’enseignants et de dirigeants communautaires qui vivent en tant que personnes déracinées ou dans des communautés d’accueil.

Publié dans le Rapport 2021 du HCR sur l’Education: Garder le Cap – Les défis de l’éducation des réfugiés

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