Abdikadir Bare Abikar, 29 ans, fait partie des rares chanceux sélectionnés pour une bourse d’études à l’étranger. © UNHCR/Anthony Karumba

Bien qu’à des milliers de kilomètres, un groupe de réfugiés vivant au camp de Dadaab au Kenya étudie à l’Université canadienne de York. D’abord mis en place pour sept étudiants en maîtrise, le programme a depuis été étendu à 60 étudiants.

Abdikadir Bare Abikar, 29 ans, va bientôt obtenir sa maîtrise en éducation de l’Université canadienne de York.

Cette nouvelle peu remarquable en soi prend une tout autre dimension quand on sait qu’Abdikadir étudie à environ 12 000 kilomètres de Toronto. Depuis 2013, Abdikadir fait ses études à distance depuis le camp de réfugiés d’Ifo à Dadaab, une zone isolée du Kenya. Il compte parmi seulement sept réfugiés inscrits en maîtrise dans un camp qui abrite plus de 200 000 personnes.

« L’éducation, ça change les gens. Ça m’a transformé »

Tous les jours, il lui faut près de deux heures de marche sur les pistes rocailleuses de Dadaab pour rejoindre le laboratoire informatique où il se connecte à la plateforme d’apprentissage à distance qui lui permet de converser avec d’autres étudiants et avec ses professeurs.

« L’éducation, ça change les gens. Ça m’a transformé », dit Abdikadir qui est aujourd’hui assistant pédagogique pour la nouvelle cohorte d’étudiants du camp. Il a récemment cosigné un article publié dans une revue consacrée aux migrations forcées, Forced Migration Review, publiée par le Centre d’études sur les réfugiés de l’Université d’Oxford, et travaille actuellement à la rédaction du chapitre d’un ouvrage analysant les avantages retirés de la technologie au camp de Dadaab.

Ses professeurs à l’Université de York ne pourraient pas être plus fiers. Don Dippo, professeur d’éducation à l’Université de York, explique que « les réfugiés qui ont étudié avec nous sont désormais en mesure de remplacer les enseignants qui leur ont fait cours dans le passé », ajoutant dans un sourire « j’attends avec impatience le jour où Abdikadir deviendra mon professeur et moi, son assistant pédagogique. »

Abdikadir sait qu’il défie tous les pronostics. Dans le monde, seulement 3% des réfugiés ont accès à l’université. Le chemin qui l’a amené jusque-là a été jalonné d’épreuves.

Kenya. Seeking university sponsorship for refugees stuck in education limbo
Abdikadir passe du bon temps avec sa famille. © UNHCR/Anthony Karumba
Kenya. UNHCR helps young father study at Canadian university
Abdikadir rêve qu’un jour, ses filles puissent elles aussi aller à l'université. © UNHCR/Anthony Karumba
Kenya. UNHCR helps young father study at Canadian university
Abdikadir est professeur d’informatique bénévole à l'école secondaire Ifo dans le camp de réfugiés de Dadaab. © UNHCR/Anthony Karumba

À 10 ans, Abdikadir était orphelin. Son père était mort des suites d’une maladie et sa mère avait été tuée par les membres d’une milice en Somalie. Craignant pour sa sécurité, son grand frère Adam qui n’avait alors que 15 ans s’est enfui avec lui vers le Kenya. Ils ont trouvé refuge à Dadaab. C’était il y a 20 ans.

Dès son arrivée au camp, Abdikadir a été inscrit à l’école primaire. Avec l’aide de son frère, il a obtenu d’excellents résultats scolaires. Toutefois, même pour ceux qui parviennent au bout de leurs études secondaires — un tour de force en soi — l’accès à l’enseignement supérieur dans un endroit aussi isolé que Dadaab ne va pas de soi.

La solution est venue de la technologie. En poursuivant ses études en ligne, Abdikadir a obtenu un diplôme d’enseignement de l’Université Kenyatta du Kenya, l’une des 23 universités du CLCC (Connected Learning in Crisis Consortium) qui est coprésidé par le HCR. Plus de 12 000 étudiants à travers le monde suivent aujourd’hui les cours appuyés par le Consortium.

Abdikadir ne s’est pas arrêté là. Déterminé à poursuivre son éducation, il a présenté sa candidature pour s’inscrire en licence de lettres à l’Université de York, elle aussi membre du CLCC, et il a été accepté. Il y est aujourd’hui inscrit en maîtrise.

Abdikadir précise qu’étudier à distance ne l’empêche pas de se sentir relié à la vie du campus universitaire. La plupart de ses cours se déroulent en face à face avec ses professeurs et il a des échanges constants avec les autres étudiants de York. « Nous apprenons les uns des autres et nous échangeons des idées sur les plateformes d’apprentissage. Les doctorants ont également la gentillesse de relire les travaux que je dois rendre », explique-t-il.

« Un jour, je deviendrai un agent de changement et je retournerai chez moi, en Somalie. Je veux appliquer des idées nouvelles et contribuer à apporter l’éducation aux communautés éloignées des villes »

Abdikadir a même été élu au nombre des représentants de l’Association des élèves diplômés de York. « Je suis le coordonnateur des technologies de l’information. Depuis Dadaab, j’aide à améliorer les protocoles de réseaux sociaux de l’Université de York. »

Abdikadir a de grands espoirs pour son avenir comme pour celui de ses trois filles âgées de trois ans et demi, quatre et cinq ans. « Dès qu’elles ont quatre ans, je les mets à l’école. »

Il veut mettre son éducation à profit pour faire la différence. « Un jour, je deviendrai un agent de changement et je retournerai chez moi, en Somalie. Je veux appliquer des idées nouvelles et contribuer à apporter l’éducation aux communautés éloignées des villes », dit-il.

« Sans éducation, les yeux ne s’ouvrent jamais. »

Lire le dernier rapport sur l’éducation ici

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