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Par Filippo Grandi, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés
Merci, Madame la Présidente.
Année après année, je me suis exprimé dans cette même enceinte pour défendre la population syrienne, et en particulier les millions de Syriens qui, au cours de 14 ans de conflit, ont été contraints de fuir leurs foyers. Environ 13 millions d’entre eux sont toujours déracinés, dont cinq millions de réfugiés hors de Syrie.
Année après année, j’ai également appelé à un soutien fort en faveur des pays qui ont accueilli des réfugiés syriens, tels que le Liban, la Jordanie, la Türkiye et d’autres qui, malgré la diminution des aides internationales, ont tenu leurs engagements de fournir protection et assistance aux réfugiés dans le cadre du programme dit 3RP, jusqu’à ce qu’ils puissent rentrer chez eux en toute sécurité et de leur plein gré.
Et le 8 décembre dernier, le retour au pays est devenu envisageable.
Depuis, plus d’un million de Syriens sont déjà rentrés chez eux : 350 000 depuis les pays voisins ainsi que de nombreux déplacés internes. Avec l’arrivée du printemps, la fin du ramadan et la fin de l’année scolaire qui approchent, nous nous attendons à ce que beaucoup d’autres les suivent. Nos dernières enquêtes montrent que 80% des réfugiés espèrent rentrer un jour, et que 27% ont l’intention de le faire dans l’année à venir. Ce dernier pourcentage a grimpé en flèche ces dernières semaines.
Dans la stratégie opérationnelle sur les retours publiée par le HCR en février – désormais intégrée dans un plan d’action plus large des Nations Unies – nous estimons que jusqu’à 3,5 millions de Syriens, déplacés internes et réfugiés, pourraient rentrer dans les mois à venir.
Soyons clairs : le HCR ne promeut pas les retours. De fait, il est important que tous les pays accueillant des réfugiés syriens adoptent une approche réfléchie. Il est trop tôt pour lever les mesures de protection, et je me réjouis de la position actuelle de nombreux États membres de l’UE et de la Commission européenne en ce sens.
Il faut au contraire permettre aux réfugiés syriens de se rendre dans leur pays d’origine sans craindre de perdre leur statut légal, l’accès à leurs droits et le soutien dont ils bénéficient dans les pays d’asile. Cela les aidera à prendre des décisions éclairées quant à leur retour définitif.
Mais le fait est que de nombreux Syriens choisissent d’ores et déjà de rentrer. Et nous devons les soutenir en leur fournissant des informations, des documents officiels, un moyen de transport et de petites aides financières.
Le défi le plus important et le plus urgent consiste toutefois à rendre ces retours durables.
Comment faire en sorte qu’une fois rentrées dans leur région d’origine, ces personnes disposent d’un minimum vital : logement, électricité, eau, assainissement, éducation, travail – en un mot : d’opportunités – pour envisager un avenir pour elles-mêmes et leur famille dans leur pays ?
Comment s’assurer qu’ils sont en sécurité, que leurs droits sont respectés ? Car sans sécurité, il n’y aura pas d’avenir.
Mais si nous ne parvenons pas à les aider à rester en Syrie, ne nous y trompons pas : les conséquences seront désastreuses. Non seulement les retours prendront fin, mais ceux qui sont déjà rentrés (et probablement beaucoup d’autres) repartiront.
Et ils ne resteront pas dans la région.
Les annonces de l’UE et d’autres donateurs, qui ont déjà été faites et qui, espérons-le, se poursuivront, sont très, très importantes. Mais parallèlement, la priorité donnée aux questions de sécurité au détriment de l’aide fait l’objet de nombreuses discussions ces jours-ci dans les pays européens et ailleurs.
Bien sûr, la sécurité est importante. Mais trop souvent, elle est présentée comme se faisant au détriment de l’aide internationale. Ce n’est pas seulement moralement répréhensible, c’est aussi une énorme erreur stratégique. Car l’aide contribue à la stabilité, que ce soit pour la Syrie, pour ses voisins, pour l’Europe et au-delà : aucun enjeu ne le prouve mieux que les mouvements de population.
Donc, lorsque vous décidez de réduire l’aide internationale, et beaucoup d’entre vous le font, sachez quelles en seront les conséquences. La stabilité en Europe est liée à la sécurité du peuple syrien : 2015 n’est pas si loin.
Aujourd’hui, alors que le peuple syrien peut enfin envisager un avenir meilleur, nous sommes tous à la croisée des chemins.
D’un côté, le confort du statu quo. La timidité. Les demi-mesures. Les déclarations fortes mais suivies de peu d’effets. Et ce refrain constant : il n’y a pas assez de moyens.
De l’autre côté, il y a une voie plus complexe qui nécessite de prendre des risques réfléchis. Investir bien davantage dans le redressement rapide. Lever plus de sanctions pour stimuler l’investissement et la croissance. Et oui, garantir une aide humanitaire substantielle. Dans le contexte actuel, je réalise ce que tout cela implique. Mais si nous voulons réellement trouver des solutions pour les réfugiés syriens – et pour la Syrie – et ne pas avoir à dépenser beaucoup plus d’argent plus tard, c’est la voie à suivre.
Un dernier mot, pour conclure, pour ajouter ma voix à celles de nombreux orateurs qui m’ont précédé et dire respectueusement au gouvernement intérimaire syrien : comme vous le savez, la sécurité des Syriens commence par vous. Nous vous soutiendrons dans vos déclarations importantes selon lesquelles vous souhaitez construire une nation où chacun peut avoir son mot à dire dans la construction d’un avenir commun.
Je vous remercie.
Initialement publié par le HCR le 19 mars 2025