L’équipe de la Matthew House à Ottawa se réunit pour une photo de groupe. De gauche à droite : Brynn, Bre, Allan, Doreen et Abdul. ©️ UNHCR / Soo-Jung Kim

Trouver un nouveau chez-soi après avoir cherché la sécurité et un refuge

De Soo-Jung Kim


C’était un bel après-midi ensoleillé de décembre quand la porte d’entrée bordeaux s’est ouverte. Quelques heures auparavant, un groupe de bénévoles était passé pour décorer l’entrée de la maison avec une couronne de Noël.

Résonnant à travers les couloirs, les rires ont rebondi sur les quatre murs qui constituent désormais le nouveau foyer de nombreux nouveaux arrivants. L’endroit est chaleureux et accueillant, et bourdonne de vie et d’activité. Les rayons du soleil transpercent la fenêtre de la cuisine.

Si vous demandiez à Doreen et à Abdul si, quelques années auparavant, ils auraient pu imaginer se trouver là où ils sont aujourd’hui, debout dans le salon de l’une des maisons d’accueil de l’organisation Matthew House, et travailler dans des services aux réfugiés, leur réponse aurait été non.

Ils étaient heureux là où ils étaient. Ils travaillaient d’arrache-pied pour avoir une bonne situation. Mais aujourd’hui, ils se retrouvent ici, à des milliers de kilomètres de l’endroit où ils ont grandi.

Doreen affiche un large sourire pendant qu’elle discute avec l’un des résidents. © UNHCR / Soo-Jung Kim

Trouver son nouveau chez-soi à Ottawa

Née en Ouganda, Doreen a grandi avec sept frères et sœurs. L’éducation a toujours eu une grande importance pour elle. Elle a passé sa vie à parfaire ses connaissances. Après avoir obtenu son premier diplôme en sociologie, elle a ensuite poursuivi ses études aux Pays-Bas où elle a reçu sa maîtrise.

Au cours de sa carrière, elle a acquis une foule d’expériences : que ce soit enseigner à l’université, travailler comme assistante sociale, œuvrer comme coordonnatrice nationale dans la gestion des catastrophes et des questions liées aux réfugiés pour le PNUD en Ouganda.

Et elle a transmis à ses enfants le même goût pour les études supérieures. Le temps venu, son fils a lui aussi décidé de poursuivre ses études au Canada en tant qu’étudiant international. Elle a fait le voyage avec lui pour l’accompagner.

« Je devais me réfugier ailleurs. Cela n’a pas été une décision facile à prendre… mais être en vie était la chose la plus importante, peu importe ce qu’il allait se passer. »

Toutefois, alors qu’elle se trouvait au Canada, la situation dans son pays a subitement commencé à se dégrader. « J’ai réalisé que je ne serai plus en sécurité en rentrant dans mon pays », dit-elle. « Je devais me réfugier ailleurs. Cela n’a pas été une décision facile à prendre… de laisser derrière moi tout ce que j’avais construit avec acharnement au fil de ma vie. Mais être en vie était la chose la plus importante, peu importe ce qu’il allait se passer. »

Doreen n’avait jamais imaginé rester au Canada. Elle n’avait emporté dans ses bagages que le strict nécessaire pour un séjour de seulement 10 jours. « À cause de la situation que je fuyais, je n’ai pas pu avoir accès à mon argent », explique-t-elle.

Elle s’est retrouvée à la rue.

Ce sont des amis à Vancouver qui l’ont mise en relation avec une communauté religieuse ougandaise à Ottawa. Ses membres l’ont hébergée et soutenue le temps qu’elle fasse une demande d’asile au Canada.

Tellement reconnaissante pour leur gentillesse et leur aide, Doreen savait qu’elle voulait à son tour redonner un peu de ce qu’elle avait reçu à cette communauté qui l’avait accueillie à bras ouverts. En discutant avec le pasteur, elle a appris l’existence de l’organisation Matthew House où elle a ensuite travaillé comme bénévole trois mois après être arrivée au Canada.

« Dans mon poste de bénévole, j’ai rencontré d’autres demandeurs d’asile », dit-elle. « J’étais tellement heureuse. Ma vie s’est embellie quand j’ai rencontré des personnes comme moi, ayant les mêmes besoins et passant par le même processus. Leur histoire faisait écho à la mienne. »

Elle ajoute à propos de cette organisation qu’il s’agit d’« un endroit où les résidents arrivent et rencontrent des personnes comme eux. » « Ils deviennent des membres d’une même famille, et forment une communauté », renchérit Doreen. « C’est un endroit multiservice qui apporte aux résidents sécurité et aide durant leur processus de demande d’asile et lors de leur insertion en tant que nouveaux arrivants ».

Doreen, Abdul et Bre (de gauche à droite) décorent le sapin de Noël pour les résidents. © UNHCR / Soo-Jung Kim

Aujourd’hui, elle travaille comme Responsable des services aux réfugiés de la Matthew House.

« Tout le monde veut devenir autonome. Personne ne veut vivre dans un foyer d’accueil pour toujours », déclare-t-elle. « Alors, ils commencent à travailler, déménagent et libèrent un lit pour une autre personne. »

« Quand vous voyez une personne arrivée l’année d’avant… transformer sa vie, c’est vraiment gratifiant. »

Ce qu’elle préfère dans son travail?

« Voir la vie des gens changer. C’est cela qui nous motive », déclare Doreen. « Quand vous voyez une personne arrivée l’année d’avant reprendre pied, obtenir la résidence permanente, se marier et transformer sa vie, c’est vraiment gratifiant. »

Abdul échange des nouvelles avec l’un des résidents. © UNHCR / Soo-Jung Kim

Du Yémen aux États-Unis, puis enfin au Canada

Abdul avait prévu de retourner au Yémen et d’apporter sa contribution au pays après avoir obtenu son diplôme d’ingénieur industriel aux États-Unis. En 2014, il est arrivé en Pennsylvanie après avoir reçu une bourse d’études… la même année où son pays a été frappé par une guerre civile.

« C’est ironique », confie-t-il. « Après mon départ, les choses ont commencé à aller mal. Les conditions de sécurité se sont complètement dégradées, et la situation a empiré de jour en jour. À un moment donné, j’ai même arrêté de suivre les nouvelles, car cela devenait trop déprimant. »

« J’étais conscient que je ne pourrai pas rentrer dans mon pays. Je ne savais pas quoi faire, j’étais terrifié. »

Lorsque la fin de ses études est arrivée en 2019, il a eu un choix difficile à faire.

« J’étais conscient que je ne pourrai pas rentrer dans mon pays », se souvient Abdul. « Je ne savais pas quoi faire, j’étais terrifié. [J’ai fini par demander à mon frère si je pouvais venir] parce qu’il travaillait déjà au Canada. »

Une fois arrivé dans le pays, Abdul s’est senti écrasé sous le poids des démarches pour sa demande d’asile.

« Il y avait tant de paperasse, de documents et de formulaires à remplir. Heureusement, mon frère habitait à Ottawa, alors je suis resté chez lui. C’était un souci de moins pour moi, mais beaucoup de gens n’ont pas le privilège que j’ai eu. »

Abdul prépare un repas pour les résidents et les bénévoles. Faire la cuisine bénévolement fait partie des façons de s’investir au sein de la Matthew House à Ottawa. © UNHCR / Soo-Jung Kim

Dès qu’Abdul a reçu son permis de travail, il a passé ses journées à chercher un emploi sur Internet. Il a ainsi accepté le premier poste qu’il a trouvé : préposé à l’inventaire.

« Ce n’était pas un poste d’ingénieur… et certainement pas l’emploi de mes rêves », dit-il. « Mais, mon but était de sortir de chez moi, car le processus de demande d’asile peut être vraiment déprimant. Et ce n’était pas juste le fait d’attendre que mon dossier soit traité, mais aussi [dans mon cas] le fait de savoir que les choses allaient mal au Yémen. À chaque fois que je voyais un appel venant du Yémen, j’espérais que personne ne soit mort… mais tant de personnes sont déjà décédées que j’ai arrêté de compter. »

Malheureusement, lorsque la pandémie est survenue, Abdul, comme beaucoup d’autres, a perdu son travail. Quelques mois plus tard, il a trouvé un poste comme stagiaire au service des dons de meubles à la Matthew House.

« Lorsque je m’y suis rendu pour mon entrevue, le premier mot que j’ai vu était “Bienvenu”. »

Il se souvient bien de ce premier jour qui est désormais gravé dans sa mémoire. « Lorsque je m’y suis rendu pour mon entrevue, le premier mot que j’ai vu était “Bienvenu”. »

Abdul et Bre distribuent des vêtements et des chaussures d’hiver aux résidents. © UNHCR / Soo-Jung Kim

Après ses deux mois de stage, on lui a offert un poste à temps plein, un moment décisif dont il se souvient avec nostalgie. « J’ai été vraiment heureux de travailler dans les services aux réfugiés, car, même si je ne pourrais jamais imaginer ce qu’ils ont vécu, j’avais malgré tout beaucoup d’empathie pour eux. Parce que j’ai vécu quelque chose de similaire. Cela m’a donné le sentiment d’être au bon endroit. »

Le chemin à suivre

Lorsqu’on lui a demandé le conseil qu’elle donnerait à un nouvel arrivant, voici ce que Doreen a dit :

« Tout d’abord se sentir en sécurité. Lorsqu’on se sent en sécurité, on est capable de reconstruire sa vie. Trouver des centres de soutien autour de soi. Il est également important de créer des liens. Trouver une communauté dans laquelle on se sent soutenus et à laquelle on a le sentiment d’appartenir. [Trouver l’endroit où vous vous sentez chez vous] », dit-elle.

« Être réfugié n’est pas quelque chose que l’on choisit. »

Voilà ce qu’espère Doreen pour l’avenir : « J’aimerais que les gens arrêtent de juger les demandeurs d’asile, parce que parfois certains pensent qu’ils ne devraient pas être là et qu’ils représentent un poids pour les contribuables. Lorsqu’on investit dans les réfugiés en leur offrant la sécurité, en échange, ces gens donnent leur vie pour ce pays. »

« Être réfugié n’est pas quelque chose que l’on choisit. Personne ne veut devenir réfugié. Nous sommes ici parce que nous n’avons nulle part ailleurs où retourner. »

***

Depuis sa création en 2010, la Matthew House à Ottawa a apporté une aide essentielle à près de 400 demandeurs d’asile issus de plus de 50 pays, grâce à ses services aux réfugiés. Pendant une durée allant jusqu’à six mois, les résidents reçoivent un lit et des repas dans une atmosphère sécurisante et familiale. L’organisation offre à ses bénéficiaires des services de soutien complet pour leur établissement, notamment pour le processus de demande d’asile, l’obtention d’un permis de travail, ainsi que la recherche d’emploi et de logement.

Cliquez ici pour en savoir plus sur l’organisation et offrir votre aide.

Pin It on Pinterest