Saba Andu (à gauche) a aidé à réunir Joséphine Niyibinga et sa fille Evodia (au milieu à droite) trois ans et demi plus tard. © HCR/Amy Thorp

Lorsque résilience et gentillesse ouvrent la voie à la réunification

Par Hawa Amin-Arsala


Un certain mercredi matin, Joséphine se trouve dans un bureau de la Saskatoon Open Door Society (SODS), un endroit qu’elle a fréquenté à de nombreuses reprises au cours des dernières années, alors qu’elle cherchait à retrouver sa fille aînée, Evodia.


Après avoir fui le Burundi et trouvé refuge dans des camps en Tanzanie, elles sont maintenant assises ensemble, trois ans et demi plus tard, sous plusieurs couches de manteaux et de masques chirurgicaux bleus à travers lesquels on peut deviner leurs larges sourires.

Joséphine s’excuse auprès de Saba Andu, l’une des conseillères de la SODS, pour les débordements d’émotion dans ses efforts pour retrouver Evodia depuis son arrivée au Canada, en avril 2018. Saba sourit et laisse doucement s’estomper l’inquiétude — elle, qui a passé 33 ans à travailler avec des personnes réfugiées, ne se sent ni surprise ou offensée.

« C’est un honneur pour moi de servir », dit-elle.

Saba est elle-même une réfugiée de l’Érythrée et puise dans un large éventail de connaissances et d’expériences de première ligne à SODS, notamment en matière de réunification des familles.

La nostalgie et le cauchemar du Burundi

Alors que le Burundi a connu de profonds conflits ethniques et politiques au fil des ans, Joséphine se souvient plutôt d’une vie paisible sur sa ferme.

« Au Burundi, vous pouvez posséder votre propre ferme. J’étais fermière et je passais mon temps à aller à l’église », se souvient-elle.

Elle évoque les conseils que sa mère lui a tendrement donnés au cours de son enfance : « Elle m’a appris à être une bonne personne, à vivre en harmonie avec les autres et à ne pas être égoïste. On ne sait jamais ce qui peut se passer demain. »

C’est une tournure tragique des événements, après la naissance de son troisième enfant, qui mettra à l’épreuve les conseils prophétiques de sa mère. Le fils de Joséphine est atteint d’albinisme à sa naissance, ce qui fait rapidement basculer la relation de Joséphine avec sa communauté et même avec sa propre famille.

« Mon mari pensait que nous pourrions être riches, toute ma famille disait que nous connaîtrions le succès et la fortune parce qu’il était né albinos », ajoute Joséphine.

Dans plusieurs pays africains, dont le Burundi et la Tanzanie, les albinos – en particulier les enfants – sont souvent chassés, enlevés et assassinés dans le cadre de sacrifices rituels.

« Il était hors de question que je fasse cela à mon propre enfant. »

Il y a eu des centaines de cas d’attaques et d’assassinats de personnes albinos rapportés dans 28 pays de l’Afrique Sub-Saharienne dans les dernières dix années, d’après les Nations Unies.

Selon des traditions malavisées, des parties de leur corps sont considérées comme des talismans qui apportent abondance et prospérité.

Le mari de Joséphine avait l’intention de vendre leur fils, mais pour elle « il était hors de question que je fasse cela à mon propre enfant. »

Elle s’est enfuie la nuit où un homme devait venir à la maison et prendre son fils. Cette nuit-là, elle a dormi dans la forêt et a entamé une pénible randonnée vers la Tanzanie avec trois jeunes enfants. Pour des raisons de sécurité, Evodia est restée avec leur grand-mère.

Brown land with green trees and tiny rows of refugee camps.

Vue aérienne du camp de réfugiés de Mtendeli, dans l’ouest de la Tanzanie. © HCR/Georgina Goodwin

Au début du mois de septembre 2016, Joséphine et ses enfants arrivent au Camp Mtendeli, en Tanzanie. Toutefois, l’espoir d’y trouver la paix et la sécurité est vite déçu, alors que le fils albinos de Joséphine redevient victime des mêmes superstitions et préjugés qui les ont poussés à fuir le Burundi.

Inquiets pour la sécurité de la famille, les autorités du HCR en Tanzanie ont travaillé d’arrache-pied avec l’équipe de l’Ambassade canadienne à Dar es Salaam afin de réinstaller Joséphine et ses trois enfants au Canada, un des rares pays au monde qui accepte les réfugiés particulièrement vulnérables à se relocaliser.

Combler la séparation avec la sagesse

Cependant, lorsqu’Evodia est finalement arrivée dans les camps en Tanzanie, Joséphine avait déjà été réinstallée au Canada

« La vie n’était pas facile dans le camp sans parents », dit Evodia.

Lors de rares communications par message vidéo, Joséphine a pu lui transmettre des mots sages qui provenaient de sa propre mère : « Je lui ai dit d’être une bonne fille et d’être gentille avec sa communauté. »

Mère éprouvée, Joséphine a néanmoins travaillé en étroite collaboration avec la SODS à travers les montagnes de paperasse accumulées au fil des ans et des tentatives infructueuses de localiser sa fille dans les méandres de la communication et des familles d’accueil.

Il aura fallu un an pour obtenir une photo d’Evodia pour compléter la documentation, et avec l’aide du HCR, elle s’est rendue à Dar es- Salaam pour l’examen médical nécessaire. La plus simple des tâches administratives a requis des efforts soutenus de la part de tout un réseau de personnes travaillant sur son cas.

Pendant toutes ces années, alors que Saba continue de consoler Joséphine et de recommander la patience, cette dernière se souvient: « Tout cela ressemblait à une histoire dans laquelle j’allais retrouver ma fille. Je ne croyais pas que cela pouvait arriver. »

Enfin réunies

Joséphine et Evodia s’amusent ensemble sous la neige à Saskatoon. © HCR/Amy Thorp

Lorsque le moment est enfin venu, le 9 septembre 2021, Joséphine a pu retrouver sa fille à l’aéroport Pearson de Toronto.

« J’étais folle de joie à l’idée de la voir. Je n’ai pas les mots pour décrire ce que j’ai ressenti », dit Joséphine en souriant.

Evodia retrouve sa mère et fait preuve d’une sagesse dépassant largement son âge. Elle est maintenant inscrite à l’école et apprécie le fait que toutes les classes se trouvent dans un seul bâtiment.

« Dans mon pays, les classes sont toutes éloignées les unes des autres… Je suis si heureuse que les enseignants soient sympathiques ici et j’apprécie leur aide! » Elle en est aussi venue à préférer les hamburgers, même si la cuisine de sa mère est ce qui lui a manqué le plus pendant toutes ces années de séparation.

Pour Joséphine, il est de la plus haute importance de maintenir leur culture vivante au Canada.

« Je veux parler notre langue, raconter les histoires de notre peuple et rappeler à mes enfants de préserver leur culture », déclare-t-elle.

À Saskatoon, qualifiée de « ville des ponts », Joséphine fait partie d’une communauté accueillante qui l’aide à s’intégrer tout en respectant sa culture d’origine.

Un refuge à Saskatoon

Lorsque Joséphine ferme les yeux pour se souvenir du jour où elle est arrivée au Canada, elle se rappelle avoir eu mal à la tête et ne pas se sentir bien. Dès son arrivée, elle a reçu de l’aide à chaque tournant.

Saba Andu, Joséphine Niyibinga, Evodia et Ashfaque Ahmed, directeur des services d’établissement et de la famille (de gauche à droite) posent pour une photo de groupe. © HCR/Amy Thorp

Se voir offrir de l’eau, des médicaments, être l’objet de salutations amicales des voisins et des épiciers qui ont proposé de lui enseigner l’anglais ont convaincu Joséphine qu’elle pourrait trouver un foyer dans les prairies d’herbes hautes du Canada. Les conseils de sa mère, bien ancrés dans son cœur, portent leurs fruits.

« J’aimerais mieux connaître la langue. Je veux expliquer ce que j’ai en moi. J’aimerais pouvoir exprimer toute la reconnaissance que je ressens dans mon cœur. Je suis si heureuse que j’aimerais pouvoir l’expliquer », rayonne-t-elle.

Alors que ses compétences linguistiques et sa famille se développent, le langage corporel de Joséphine en dit long. Au-delà de la séparation et de la nostalgie, elle est parvenue à trouver la paix et une nouvelle vie dans une ville accueillante.

En effet, la communauté est un aspect fondamental de ce que Joséphine espère cultiver en tant que nouvelle résidente de Saskatoon. Elle rêve de rester ici avec sa famille et de contribuer à la communauté. Faisant désormais partie d’une famille de sept personnes, elle envisage une vie plus simple, en harmonie avec ses voisins.

Avant qu’elles ne quittent le bureau, Evodia enlace sa mère en pointant le pouce vers le haut. Elles rigolent, referment leurs manteaux et remercient Dieu.

Cette histoire a été produite par UPPL. Hawa Amin-Arsala est une écrivaine, chercheuse et artiste interdisciplinaire.

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