Le personnel du HCR distribue des bouteilles d'eau aux réfugiés et aux migrants dont le bateau a été intercepté alors qu'il tentait de traverser la Méditerranée, et qui a finalement été renvoyé en Libye le 9 avril

Le personnel du HCR distribue des bouteilles d’eau aux réfugiés et aux migrants dont le bateau a été intercepté alors qu’il tentait de traverser la Méditerranée, et qui a finalement été renvoyé en Libye le 9 avril. © HCR/Noor Elshin

Un adolescent soudanais, qui avait échappé de justesse à la mort dans sa quête de l’asile, a cependant à nouveau tout risqué en décidant de tenter de franchir la Méditerranée, poussé par l’insécurité croissante et les restrictions liées au Covid-19.

Depuis toujours, la vie de Siddik*, 18 ans, est marquée par la violence, les souffrances et le déplacement. Il n’était qu’un bébé lorsque les combats dans la région soudanaise du Darfour ont forcé sa famille à quitter leur foyer, et n’avait que sept ans lorsqu’il a perdu sa mère à cause du conflit.


Très jeune, il s’est consacré à ses études dans l’espoir d’aller à l’université et de pouvoir subvenir aux besoins de ses trois frères et sœurs, ainsi que de son père aveugle. Mais lorsque des groupes armés ont fait irruption dans son école pour recruter de force les jeunes garçons, il est rentré chez lui en courant, et a définitivement abandonné ses études.

Désespéré de trouver un moyen de nourrir sa famille, il a quitté le Darfour à l’âge de 16 ans. Il n’avait que quelques billets en poche et un seul objectif : trouver rapidement du travail et envoyer de l’argent à la maison.

« Je voulais partir pour pouvoir subvenir à leurs besoins, afin qu’ils puissent recevoir une éducation, contrairement à moi », a expliqué Siddik à propos de ses jeunes frères et sœurs. « Je veux qu’ils aient une vie meilleure que la mienne. »

Son périple l’a conduit en Libye, où les malheurs l’ont à nouveau rattrapé. Peu après son arrivée dans le pays, Siddik a été placé en détention. En juillet de l’année dernière, il se trouvait au centre de détention de Tajoura quand celui-ci a été touché par une série de frappes aériennes visant le hangar où il vivait avec plus de 150 autres hommes. Beaucoup des amis qu’il s’était fait ont été tués ou blessés. Au total, l’attaque a fait plus de 50 morts.

Après des mois de lutte pour joindre les deux bouts à Tripoli, et toujours déterminé à améliorer sa vie et celle de sa famille, Siddik a économisé suffisamment d’argent pour risquer la périlleuse traversée maritime vers l’Europe.

Plus de 46 000 réfugiés et demandeurs d’asile sont actuellement enregistrés en Libye, où beaucoup sont confrontés à l’insécurité, l’instabilité, des conditions économiques désastreuses et la menace d’exploitation et d’abus par des gangs criminels et des groupes armés.

En plus d’une forte intensification des combats au cours du mois dernier, le pays a également enregistré ses premiers cas confirmés de Covid-19. Cela a entraîné un durcissement des mesures visant à restreindre les déplacements, rendant presque impossible pour les réfugiés et les demandeurs d’asile le fait de trouver du travail, alors que le coût de la nourriture et du loyer a augmenté.

Cette combinaison de facteurs semble inciter davantage de personnes à risquer leur vie en traversant la Méditerranée. Au cours des quatre premiers mois de cette année, les garde-côtes libyens ont récupéré 3078 réfugiés et migrants en mer, contre 1126 à la même période l’année dernière.

Au cours d’une nuit, il y a quelques semaines, Siddik s’est retrouvé grelottant dans l’obscurité alors que le petit canot pneumatique dans lequel lui-même et plus de 70 autres personnes s’étaient entassés était ballotté sur une mer agitée. Pendant des jours, ils se sont accrochés à la vie, déshydratés, affamés et terrifiés.

Au bout de cinq jours de mer, un bateau est venu à leur secours, mais leur joie s’est vite transformée en désespoir lorsqu’ils ont réalisé qu’il s’agissait d’un navire des garde-côtes libyens qui les ramènerait à Tripoli en compagnie de plus de 150 réfugiés et migrants déjà à bord qui avaient été récupérés sur trois autres canots pneumatiques le matin même.

« La Libye est une impasse pour les réfugiés et les demandeurs d’asile … dans ce pays, il n’y a pas d’avenir pour nous. »

Lorsqu’ils ont finalement accosté à Tripoli, ils n’ont pas été autorisés à débarquer immédiatement et ont dû attendre sur le bateau pendant plusieurs heures. Le personnel du HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, et son partenaire médical, le Comité international de secours, ont distribué de l’eau et fourni une aide médicale d’urgence aux cas les plus urgents. Mais à la tombée de la nuit, tout le monde était encore à bord du navire.

Au cours des heures qui suivirent, Siddik se retrouva une fois de plus confronté à la violence. « Dans le port, il y a eu de terribles bombardements pendant la nuit. Nous avons essayé de nous échapper, mais nous n’avons pas pu », a-t-il expliqué.

Finalement, ils ont été emmenés dans un établissement voisin pour attendre leur transfert le lendemain matin vers un centre de détention. Mais Siddik était déterminé à tout prix à éviter de retourner en détention. Pendant le bref moment où ils ont été laissés sans surveillance, lui et d’autres ont utilisé leur toutes dernières forces pour s’enfuir.

Siddik, qui vit maintenant avec plusieurs autres dans une pièce unique au centre de la vieille ville de Tripoli, est pessimiste sur ce que l’avenir lui réserve.

« La Libye est une impasse pour les réfugiés et les demandeurs d’asile. J’ai quitté mon pays en quête de protection ainsi que pour pouvoir offrir une éducation à mes frères et sœurs et aider mon père, mais, dans ce pays, il n’y a pas d’avenir pour nous », dit-il, déprimé, alors qu’il attendait de recevoir une aide en espèces au centre d’enregistrement du HCR de Sarraj, à Tripoli, pour l’aider à payer son loyer et à se nourrir.

De nombreux réfugiés et demandeurs d’asile s’étaient cramponnés à l’espoir qu’ils pourraient être considérés comme prioritaires pour une réinstallation dans le cadre de vols d’évacuation au départ de la Libye. Cependant, alors que des places de réinstallation ne sont disponibles que pour une infime minorité de réfugiés en Libye et dans le monde entier, même ce lointain espoir s’est évanoui avec la fermeture des frontières dans le cadre de la lutte contre le coronavirus.

« Nous ne pouvons pas retourner dans nos pays, mais nous ne pouvons pas non plus rester ici », a déclaré Siddik. « Dans des circonstances normales, je chercherais du travail et m’inscrirais à l’école, mais aujourd’hui, même nos voisins libyens sont de plus en plus désespérés par l’aggravation de la situation dans leur pays. »

Le Chef de mission du HCR en Libye, Jean-Paul Cavalieri, a reconnu que l’aggravation de la situation en Libye oblige de nombreuses personnes à faire des choix difficiles.

« La combinaison du Covid-19 et des restrictions de mouvement qui y sont associées, ainsi que l’aggravation du conflit, sans aucune perspective d’une éventuelle trêve humanitaire, placeront davantage de personnes dans une situation de pauvreté croissante et avec peu de moyens pour survivre », a déclaré Jean-Paul Cavalieri.

Dans un contexte où les conditions de sécurité se détériorent, et où les déplacements sont restreints en raison du Covid-19, le HCR a fourni une aide d’urgence à quelque 3500 réfugiés et déplacés internes libyens au cours des deux dernières semaines.

Le programme d’assistance, qui comprenait un mois de nourriture et des kits d’hygiène, a permis d’aider quelque 1600 réfugiés urbains, plus de 700 réfugiés en détention et près de 1500 Libyens déplacés dans différents sites à travers le pays.

« Nous faisons ce que nous pouvons. Le HCR effectue de nouvelles distributions d’urgence pendant la période du Ramadan. Cependant, le désespoir va probablement pousser davantage de réfugiés à risquer leur vie, et à s’engager dans des traversées maritimes irrégulières et dangereuses. »

*Nom modifié pour des raisons de protection.

Publie par le HCR, le 15 mai 2020

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