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Tebogo Khoza a mené une bataille juridique pendant 10 ans avant d’être reconnu comme citoyen sud-africain. © HCR/GR Pote

Pendant de longues années, Tebogo Khoza n’a pas pu bénéficier de documents d’identité. Un jugement rétablit ses droits et suscite de l’espoir pour des millions d’autres Sud-Africains privés de papiers d’identité

Par Laura Padoan à Pretoria, South Africa


Tebogo Khoza travaille comme gardien de parc dans la province du Limpopo, en Afrique du Sud. Sa connaissance du terrain et de la faune sauvage est la clé de son gagne-pain et de sa sécurité. Il veille sur les buffles et les impalas de la réserve où il vit, au pied des montagnes d’Ysterberg, et éprouve aujourd’hui un sentiment d’appartenance dont il a longtemps été privé.


L’année dernière, à l’âge de 25 ans, Tebogo Khoza a enfin obtenu un acte de naissance délivré par le ministère de l’intérieur sud-africain, mettant ainsi un terme à une bataille administrative de dix ans pour être reconnu comme citoyen sud-africain.

Né à la lisière du parc national Kruger, dans la province de Mpumalanga, Tebogo Khoza avait à peu près 6 ans lorsque sa mère, séropositive, s’est rendue dans la province du Limpopo pour se faire soigner par un sangoma (un guérisseur traditionnel). Ne la voyant pas revenir au bout de quelques semaines, il s’est rendu avec sa grand-mère jusqu’à la maison du sangoma, où il a appris que sa mère était décédée. « J’attendais que ma mère sorte de la maison », se souvient-il. « Mais elle n’est jamais venue. »

N’ayant jamais connu son père et ne voulant pas retourner à Mpumalanga sans sa mère, il a été placé dans un foyer pour orphelins.

« Je n’avais pas d’acte de naissance et je ne connaissais pas ma date de naissance. Alors que j’avais 13 ou 14 ans, nous nous sommes adressés au ministère de l’intérieur pour obtenir des papiers, mais c’est alors que j’ai découvert que ma grand-mère n’avait pas de papiers d’identité non plus », explique-t-il.

L’héritage de l’apartheid

En Afrique du Sud, il est courant que les personnes âgées n’aient pas de papiers, héritage des politiques de l’apartheid qui rendaient l’enregistrement des faits d’état civil et des naissances obligatoire uniquement pour les Sud-Africains blancs. En conséquence, leurs descendants ont souvent du mal à obtenir des documents d’identité, ce qui les rend apatrides.

Lorsque les fonctionnaires du ministère de l’intérieur sont venus interroger la famille de Tebogo Khoza pour vérifier leur nationalité, ils ont arrêté sa grand-mère, sa tante et son oncle, affirmant qu’ils étaient originaires de l’Eswatini (anciennement connu sous le nom de Swaziland) et qu’ils devaient être expulsés. « Ils m’ont même emmené à la frontière du Swaziland, mais lorsque nous sommes arrivés, les gardes-frontières ont pu voir à mes cicatrices de vaccination que je venais d’Afrique du Sud », se souvient-il.

À l’âge de 18 ans, Tebogo Khoza a quitté le foyer pour enfants et est allé travailler dans une réserve animalière voisine, mais il craignait de perdre son emploi faute de papiers d’identité. Féru de sport, il a été sélectionné pour jouer dans l’équipe locale de rugby, mais comme il n’avait pas de papiers d’identité, il n’a pas pu progresser au sein de la ligue. Il a continué à s’entraîner, courant jusqu’à 10 kilomètres par jour le long de la route qui mène à la ville minière voisine de Thabazimbi. Cette pratique du sport lui a permis de contenir son anxiété au cours de ces années où il commençait à perdre espoir d’obtenir un jour ses papiers d’identité.

Lorsque Tebogo Khoza a voulu se marier avec sa compagne, son statut d’apatride a fait que leur mariage n’a pas pu être officiellement reconnu. Et lorsque le couple a eu un fils, Junior, le nom de Tebogo n’a pas pu être mentionné sur l’acte de naissance de l’enfant. Il avait l’impression d’être invisible aux yeux de la loi.

Une source d’espoir

Des millions de personnes à travers le monde sont privés de nationalité. Elles ne peuvent pas la plupart du temps fréquenter l’école, accéder aux soins de santé, trouver un emploi, ouvrir un compte en banque, acheter une maison ou se marier. La campagne #Jexiste (#IBelong) de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés vise à mettre fin à l’apatridie par le biais d’une campagne mondiale qui s’articule autour de 10 mesures clé. Alors que la campagne s’achève cette année, le HCR s’apprête à lancer l’Alliance mondiale pour mettre fin à l’apatridie. Il s’agit d’une plateforme multipartite qui rassemble des gouvernements, des agences des Nations Unies, des organisations régionales et de la société civile, ainsi que des organisations dirigées par des apatrides, tous partageant un même engagement: éradiquer l’apatridie.

Lawyers for Human Rights, une organisation partenaire du HCR, a pris en charge le cas de Tebogo Khoza et, l’année dernière, il a été convoqué à une audience à la Haute Cour de Pretoria. Le juge a déclaré que le ministère de l’Intérieur s’était montré « inflexible » et « obstructionniste » dans son refus d’aider Tebogo et a statué qu’il devrait avoir accès à un acte de naissance et à la citoyenneté.

Permettre à chacun de sortir de l’apatridie

A man and a woman look at each other, standing and talking

Tebogo s’entretient avec Lusungu Kanyama Phiri, assistante du HCR chargée de la protection des apatrides. © HCR/GR Pote

Pour la première fois en Afrique du Sud, cette décision de justice précise les critères de preuve à retenir dans le cadre d’une affaire d’apatridie. La Cour a suivi la recommandation du HCR selon laquelle la charge de la preuve pour déterminer si une personne a droit à un statut légal et à la citoyenneté doit être partagée entre le demandeur et le décideur, et qu’un niveau de preuve moins élevé doit être appliqué pour les apatrides qui n’ont pas de documents à fournir. Tebogo Khoza espère que son cas sera source d’espoir pour d’autres personnes en Afrique du Sud, où, selon la Banque mondiale, près de 15,3 millions de personnes ne possèdent pas de papiers d’identité.

Pour lutter contre l’héritage des politiques de l’apartheid, le ministère de l’intérieur a mis en place un mécanisme permettant l’enregistrement des naissances plusieurs années après leur survenue. Richard Sikakane, Directeur adjoint du département des documents de voyage et de la citoyenneté, explique : « Le ministère de l’intérieur s’efforce d’améliorer l’enregistrement des naissances et de mettre à jour les directives afin de s’assurer que les personnes les plus vulnérables ne passent pas à travers les mailles du filet. »

« Lorsque j’ai reçu ma carte d’identité, j’ai su que mes conditions de vie allaient s’améliorer », dit Tebogo Khoza. Cependant, la décision a suscité en lui des émotions contradictoires. « J’étais heureux, c’est certain, mais j’étais également en colère. Je suis passé à côté de nombreuses opportunités pendant toutes ces années. Je pense que j’aurais pu avoir une vie très différente. Mais au moins, maintenant, des portes me sont ouvertes. »

Tebogo et sa petite amie envisagent maintenant de se marier et d’ajouter son nom à l’acte de naissance de leur fils. « De par mon expérience, je sais à quel point il est important que les deux parents figurent sur l’acte de naissance. Je ne veux pas que mon fils grandisse comme moi et doive se battre pour prouver qu’il existe. »

Tout comme son père, Junior, 6 ans, est un bon coureur et il espère un jour jouer au rugby pour les Springboks, l’équipe nationale d’Afrique du Sud. Il sera le premier, depuis au moins trois générations dans sa famille, à ne pas être freiné par le fait de ne pas avoir de nationalité.

« Lorsque j’ai reçu ma carte d’identité, j’ai su que mes conditions de vie allaient s’améliorer »

Tebogo Khoza

Publié par le HCR le 22 février 2024

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