Un homme assis dans un autobus.

Mukhamadjon Turgunov est devenu citoyen ouzbek cette année, après avoir été apatride pendant 28 de ses 29 ans de vie. © HCR/Elyor Nematov

Pour 50 000 personnes autrefois apatrides en Ouzbékistan, l’acquisition de la citoyenneté ouvrira la porte aux voyages à l’étranger, au droit de vote et leur permettra de retrouver leur dignité.

Par Agnieszka Pikulicka à Tachkent, Ouzbékistan  


Entendre l’hymne national de l’Ouzbékistan après un combat victorieux a toujours été le plus grand rêve de Mukhamadjon Turgunov. Mais l’ancien champion de kickboxing n’a jamais eu la chance de représenter son pays dans des tournois internationaux. Pour un apatride comme lui, les voyages à l’étranger étaient totalement inenvisageables.


« J’avais l’impression de faire partie d’une famille, mais d’être néanmoins orphelin. Comme si ce pays ne m’acceptait pas », explique-t-il. « Je suis ouzbek. J’ai grandi en Ouzbékistan, j’ai étudié ici, j’aime ce pays. »

Aujourd’hui, le sportif, devenu instructeur de taekwondo, espère qu’il pourra bientôt voyager pour voir ses élèves concourir à l’étranger. En avril de cette année, après avoir été apatride pendant 28 de ses 29 ans de vie, il est finalement devenu citoyen ouzbek.

« Il est impossible de décrire ce sentiment. C’est comme une nouvelle naissance. »

« Il est impossible de décrire ce sentiment. C’est comme une nouvelle naissance », affirme-t-il avec un large sourire.

Jusqu’à récemment, l’Ouzbékistan avait l’un des taux d’apatridie les plus élevés au monde, avec 97 346 cas documentés. Mais grâce à une nouvelle loi entrée en vigueur en avril 2020, près de 50 000 personnes auparavant apatrides peuvent désormais acquérir la nationalité ouzbèke. La loi s’applique à ceux qui ont obtenu un permis de séjour permanent dans le pays avant 1995.

Récemment, l’Ouzbékistan a également modifié ses procédures d’enregistrement des naissances afin de s’assurer que tous les enfants soient enregistrés, y compris ceux nés de parents sans papiers.

Dans son discours annuel au Parlement ouzbek le 29 décembre, le président Shavkat Mirziyoyev a annoncé qu’en 2021, le gouvernement renforcerait ses efforts pour mettre fin à l’apatridie dans le pays.

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Dans le cadre d’une nouvelle initiative dévoilée au cours de ce discours, ceux qui se sont installés en Ouzbékistan avant 2005 et qui y vivent depuis lors pourront devenir citoyens. Quelque 20 000 personnes pourront mettre fin à leur statut d’apatride et acquérir la citoyenneté grâce à cette initiative.

Dans le monde entier, des millions d’apatrides sont confrontés à l’exclusion et à la discrimination tout au long de leur vie. Ils ne peuvent pas voter et, souvent, n’ont pas accès à l’éducation, aux soins médicaux, aux voyages à l’étranger, à un emploi ou même à l’achat d’une carte SIM pour un téléphone portable. Bien que l’on sache qu’au minimum 4,2 millions de personnes sont apatrides dans le monde, le nombre réel est probablement beaucoup plus élevé, car moins de la moitié des pays collectent des données sur les populations apatrides.

L’Ouzbékistan fait partie des cinq États d’Asie centrale, dont le Kazakhstan, la République kirghize, le Tadjikistan et le Turkménistan, qui ont pris des mesures importantes pour prévenir et réduire l’apatridie ces dernières années, et ce avec le soutien du HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, et de sa campagne #Jexiste (#IBelong) pour mettre fin à l’apatridie d’ici 2024. Au cours des six années qui se sont écoulées depuis le début de la campagne, quelque 83 000 apatrides de la région ont pu acquérir une nationalité.

Les cas d’apatridie en Asie centrale remontent, le plus souvent, à la dissolution de l’Union soviétique en 1991. Auparavant, les frontières étaient ouvertes et un passeport soviétique permettait aux personnes de se déplacer librement d’une république à l’autre. Dans les régions frontalières en particulier, les identités nationales étaient fluides et les déplacements pratiquement illimités.

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Mukhamadjon, ancien champion de kickboxing, s’efforce aujourd’hui d’aider ses élèves de taekwondo à concourir à l’étranger. © HCR/Elyor Nematov
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Mukhamadjon et son élève se préparent pour un combat à la Fédération de Taekwondo d’Ouzbékistan. © HCR/Elyor Nematov
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Mukhamadjon donne des instructions à son élève lors d’un tournoi de taekwondo. © HCR/Elyor Nematov
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Mukhamadjon regarde un de ses élèves concourir dans les locaux de la Fédération de Taekwondo. © HCR/Elyor Nematov

Mukhamadjon est né de parents ouzbeks en République kirghize en août 1991, quatre mois seulement avant l’effondrement de l’Union soviétique. Sa mère était originaire de Namangan, une ville ouzbèke proche de la frontière kirghize, tandis que son père était un Ouzbek né au Kirghizstan. La distance entre leurs villes respectives n’était que de 60 kilomètres et, avant 1991, le couple traversait fréquemment la frontière invisible entre les deux républiques soviétiques.

Vers la fin de l’année 1992, la famille a déménagé à Namangan, mais il était trop tard pour demander la citoyenneté. Une nouvelle loi stipulait que seuls ceux qui avaient une résidence permanente en Ouzbékistan avant le 1er mai de cette année-là pouvaient devenir citoyens. Leur fils, Mukhamadjon, est devenu apatride.

Au début, son statut n’a pas eu d’incidence sur sa vie. Les apatrides en Ouzbékistan conservent en grande partie les mêmes droits que les citoyens, à l’exception du droit de vote et de se présenter aux élections. Mais ils se heurtent à des obstacles importants lorsqu’il s’agit de franchir les frontières.

Tous les pays ne reconnaissent pas les « passeports gris », un document de voyage délivré aux apatrides par le gouvernement ouzbek. Par conséquent, les demandes de visas étrangers peuvent être longues et laborieuses. Pour Mukhamadjon, qui vivait dans une ville située à près de 300 kilomètres de la capitale, Tachkent, c’était un obstacle qui s’est avéré difficile à surmonter.

« J’étais le champion ouzbek de kickboxing et il y a eu des occasions où mon entraîneur voulait m’envoyer à des championnats internationaux à l’étranger, mais… il y avait toujours des problèmes avec le visa », explique-t-il. « Pour ma carrière sportive, ça a été un obstacle. »

Gulchehra Dadabaeva est née au Kirghizistan mais a déménagé en Ouzbékistan pour apprendre le métier d’infirmière en 1991, juste à temps pour pouvoir obtenir la citoyenneté et le nouveau passeport ouzbek. La jeune femme de 46 ans a présenté sa demande de passeport en même temps que son ancien passeport soviétique, mais a reçu à la place un document d’identité pour apatrides qui, lui a-t-on dit, lui garantirait les mêmes droits qu’un citoyen.

Au départ, Gulchehra n’a pas réalisé qu’elle ne pourrait jamais rendre visite à ses parents, qui vivaient juste de l’autre côté de la frontière, au Kirghizstan. Elle est restée apatride pendant 28 ans, exerçant son travail d’infirmière dans le service de chirurgie d’un hôpital de Namangan.

« Je ne pouvais pas me rendre au Kirghizistan, ni dans aucun autre pays. »

« Je ne pouvais pas me rendre au Kirghizistan, ni dans aucun autre pays. Mes parents me rendaient visite », raconte-t-elle.

Comme pour Mukhamadjon, les formalités administratives et le voyage à Tachkent pour faire la demande de visa constituaient des obstacles majeurs. « Je travaille et j’ai des enfants dont je dois m’occuper », souligne-t-elle.

Suite à la promulgation de la nouvelle loi, Gulchehra a finalement reçu son passeport en octobre 2020 et a pu rendre visite à ses parents.

Elle se réjouit à présent de pouvoir voter lors de la prochaine élection présidentielle. « C’est important pour moi », dit-elle. « Je vais voter pour la première fois de ma vie. »

Bien que la carrière de boxeur de Mukhamadjon soit terminée, il espère qu’un jour il entendra l’hymne national de l’Ouzbékistan résonner pour l’un de ses élèves. Deux d’entre eux ont déjà participé à des championnats internationaux.

« Les sportifs ont toujours des sentiments patriotiques plus forts que les autres, car ils représentent le pays », affirme-t-il, assis dans le hall du bâtiment de la Fédération de taekwondo d’Ouzbékistan avant le combat de l’un de ses élèves.

« Le monde entier s’est ouvert à moi, mais je veux rester en Ouzbékistan et entraîner mes élèves. Je prouverai que le fait de m’accorder la citoyenneté était une bonne décision. »

Publié par le HCR, le 20 janvier 2021.

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