animated illustration of a boy running in front of damaged buildings, the words 'path out' are centred low, below the boy's feet

© UNHCR/UNHCR

Un réfugié syrien concepteur de jeux vidéo, une entreprise autrichienne renommée et le HCR se sont associés pour créer un jeu vidéo qui met en lumière les choix difficiles auxquels sont confrontés les réfugiés

Par Ruth Schöffl à Vienne, Autriche


Jack Gutmann n’a jamais été un de ces enfants auxquels les parents imposent de limiter leur temps d’exposition aux écrans et de sortir jouer dehors. Au contraire, ils encourageaient Jack et ses quatre frères à passer le plus de temps possible plongés dans leurs jeux vidéo pour qu’ils restent à l’intérieur, à l’abri du conflit qui faisait rage dans les rues autour de chez eux


« J’avais peur et j’essayais de fuir la réalité », raconte Jack, prénommé Abdullah à la naissance et qui a grandi à Hama, la quatrième plus grande ville de Syrie. « Je ne voulais pas voir la guerre et je ne voulais pas l’entendre. » Quand il y avait de l’électricité, il jouait aux jeux vidéo. Quand il n’y en avait plus, il jouait sur son ordinateur portable. Et quand la batterie de l’ordinateur portable était déchargée, il dessinait.

Il n’aurait jamais imaginé que des années plus tard, en sécurité en Autriche, sa passion pour la programmation informatique lui permettrait de créer un jeu vidéo qui serait primé. Le HCR a réédité une version pédagogique du jeu Path Out à l’occasion de la Journée mondiale du réfugié (20 juin), pour permettre aux écoliers d’Autriche et d’ailleurs de se mettre à la place d’un réfugié et de les sensibiliser aux choix difficiles auxquels les personnes contraintes de fuir doivent faire face en quête de sécurité.

Jack, qui a changé de nom pour refaire sa vie en Autriche, a commencé le dessin et le coloriage numérique dès l’enfance et maîtrisait le programme graphique Photoshop dans les moindres détails dès l’âge de 14 ans.

« Les jeux vidéo étaient pour moi une fenêtre sur le monde. »

« Le dessin numérique et les jeux vidéo ont été pour moi une fenêtre sur le monde, un moyen de quitter ma chambre, d’échapper à la guerre et de découvrir un monde différent, avec toutes sortes de personnes », explique-t-il en évoquant la crise qui a éclaté en mars 2011, date à laquelle il a également fêté ses 15 ans.

Depuis le début de la crise en 2011, des millions de Syriens ont été contraints de fuir leur foyer. Aujourd’hui, quelque 6,8 millions de Syriens vivent à l’étranger en tant que réfugiés, et un nombre presque équivalent – 6,9 millions – sont déplacés à l’intérieur du pays.

À 18 ans, face au risque d’être enrôlé dans l’armée, Jack a fui son pays – un voyage dangereux et complexe vers la Turquie, puis à travers plusieurs pays jusqu’à l’Autriche, au cœur de l’Europe. C’est le premier endroit où il s’est vraiment senti en sécurité.

« Je n’avais pas prévu de rester en Autriche », admet-il volontiers. « Mais quand je suis arrivé ici avec mon frère, nous avons été vraiment surpris par le nombre de personnes qui nous sont venues en aide – positivement surpris. »

Peu après son arrivée, Jack a fait la connaissance de Georg Hobmeier, qui dirige Causa Creations, une société de conception de jeux vidéo basée à Vienne qui les conçoit non seulement comme un divertissement, mais, selon les termes de son site web, comme « des expériences pleines de sens et enrichissantes qui peuvent nous relier, remettre en question nos perceptions et offrir un éclairage sur le monde qui nous entoure ». L’entreprise a ainsi travaillé sur des questions telles que la migration, le changement climatique ou encore l’énergie nucléaire.

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Le concepteur de jeux vidéo Jack Gutmann (à gauche) est assis à côté de Georg Hobmeier, directeur de Causa Creations, dans leurs bureaux à Vienne, en Autriche. © HCR/Simon Casetti
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Le jeu met en contraste l’humour de mignons personnages d’inspiration manga et la dure réalité de l’exil. © HCR
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Les joueurs jouent le rôle d’un réfugié, prenant des décisions déterminantes pour leur survie tout au long d’un dangereux périple en quête de sécurité. © HCR

Jack, désireux de faire de sa passion un métier, s’est associé à Causa Creations pour monter un projet commun. Le résultat est intitulé Path Out, un jeu qui permet au joueur de revivre le parcours de Jack depuis la Syrie, parfois entre les mains de passeurs.

« Nous avons décidé que Jack lui-même serait le personnage principal du jeu », explique Georg, ajoutant qu’il était particulièrement important de montrer que derrière chaque statistique sur les réfugiés se cachent des expériences et des personnalités très variées.

Dans le style de jeu japonais qu’ils ont choisi, d’adorables personnages contrastent avec la dure réalité du périple. Jack – le concepteur et le personnage – est habillé tout au long du jeu de la chemise jaune qu’il a réellement portée lors de son voyage et qui a désormais une valeur sentimentale pour lui.

Depuis une fenêtre située dans le coin de l’écran, le vrai Jack commente les mouvements des joueurs dans le style d’un Youtuber, souvent avec humour. « Tu viens de me tuer, mec », s’exclame-t-il lorsque le joueur fait un mauvais mouvement. « Dans la réalité, je n’étais pas aussi maladroit que toi. »

Sorti à l’origine sous la forme d’un jeu de deux heures en 2017, Path Out a remporté des prix internationaux et autrichiens en raison de « cette volonté de faire la lumière sur un problème grave. »

La nouvelle version que Causa et le HCR ont développée pour les écoles ne dure pas plus que le temps d’une leçon et aide les élèves qui pourraient ne jamais rencontrer de vrais réfugiés à comprendre que Jack a mené une vie semblable à la leur jusqu’à ce que son monde soit bouleversé et qu’il doive tout laisser derrière lui. Le jeu a été présenté en allemand et en anglais à l’occasion de la Journée mondiale du réfugié. Des versions dans d’autres langues sont également prévues.

Jack le concepteur de jeux continue d’écrire la fin heureuse de son histoire. Il s’est senti en sécurité dès qu’il est arrivé en Autriche, mais il lui a fallu du temps pour que le pays devienne son véritable foyer artistique et émotionnel.

« Il a fallu cinq ans pour que je ressente que mon périple était terminé, pour que je me sente vraiment apaisé », confie-t-il. Aujourd’hui âgé de 26 ans, il parle un allemand et un anglais presque parfaits. Il a suivi une formation professionnelle, a travaillé pendant quelques années dans une société de développement de jeux et se forme maintenant à la modélisation et à l’animation 3D pour devenir un développeur et un concepteur de jeux encore meilleur.

Il a rencontré une Autrichienne qui aime aussi les jeux vidéo – bien que ce ne soit pas son métier. Ils se sont mariés l’année dernière.

Et il veille à conserver son sens de l’humour, un trait qu’il juge essentiel tant dans la vie réelle que dans son jeu, Path Out. « Les récits de fuite et de guerre sont déjà assez pénibles ; il faut de l’humour pour pouvoir y faire face », dit-il.

Comme le jeu qu’il a conçu reflète ce qu’il est, « il est également drôle. Après tout, les jeux vidéo sont censés être amusants. »

Publie par le HCR, le 08 juillet 2022

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