Zannah Mustapha, pose pour une photo dans l'État de Borno au Nigéria

Zannah Mustapha, lauréat de la distinction Nansen, pose pour une photo dans l’État de Borno au Nigéria, où quelque 2000 orphelins fréquentent ses Future Prowess Schools. © HCR/Roland Schönbauer

Zannah Mustapha, lauréat de la distinction Nansen, évoque les changements survenus dans sa vie – et celle des enfants déplacés par Boko Haram – depuis que la distinction Nansen lui a été décernée en 2017.

Par Roland Schönbauer à Maiduguri, Nigéria


Il y a trois ans, Zannah Mustapha a reçu la distinction Nansen du HCR pour les réfugiés pour ses efforts inlassables visant à assurer une éducation aux orphelins de l’insurrection de Boko Haram au Nigéria.


Avocat et promoteur immobilier nigérian, il a créé la Future Prowess School en 2007, après avoir constaté le nombre croissant d’enfants des rues à Maiduguri, la capitale de l’État de Borno et le cœur de l’insurrection de Boko Haram.

L’insécurité au nord du Nigéria a de nouveau fait la une des actualités ce mois-ci, lorsque plus de 300 écoliers ont été kidnappés après une attaque menée contre leur école par des hommes armés – ils ont ensuite été libérés et sont rentrés chez eux.

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L’école créée par Zannah Mustapha offre gratuitement une éducation, des repas, des uniformes et des soins de santé aux enfants affectés par la violence. Grâce à ses efforts inlassables, il a contribué à la libération de 82 des écolières de Chibok en mai 2017, dont l’enlèvement trois ans plus tôt – avec près de 200 autres jeunes filles par des militants de Boko Haram – avait alors fait la une dans les médias à travers le monde entier.

Il nous présente la façon dont la distinction Nansen a changé sa vie et celle des milliers d’enfants qui bénéficient de son travail. Les précédents lauréats de la distinction sont Eleanor Roosevelt, première présidente de la Commission des Nations Unies pour les droits de l’homme et première dame des États-Unis, et Julius Nyerere, ancien président de la Tanzanie.

Comment la distinction Nansen a-t-elle fait progresser votre travail pour aider les orphelins ?

Aujourd’hui, notre fondation Future Prowess est composée de trois écoles primaires et d’un établissement secondaire. Nous avons également ouvert un centre de formation professionnelle technique. Plus de 2000 enfants sont inscrits – principalement des jeunes filles – et plus de 1800 autres sont sur une liste d’attente.

« La distinction Nansen a été l’un des événements les plus enrichissants de ma vie »

Quel a été l’impact de la distinction Nansen sur votre vie ?

La distinction Nansen a été l’un des événements les plus enrichissants de ma vie. C’est une immense source d’inspiration de devenir soudain connu à travers le monde entier et de compter désormais parmi d’autres lauréats célèbres comme Eleanor Roosevelt et Julius Nyerere, qui ont consacré leur vie entière à défendre une cause. Je me suis demandé : « Suis-je vraiment le lauréat ? ». Parfois, c’est tout simplement irréel. La distinction m’a également mis au défi et je me demande souvent comment je peux maintenir la dynamique. Mais quand je regarde ces femmes, ces veuves et ces jeunes filles qui ont traversé des épreuves, elles viennent ici chaque jour pour acquérir de nouvelles compétences, pour s’épanouir et continuer à s’occuper de leur famille – cela me donne un fort sentiment d’accomplissement.

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Un panneau indique le site de l’une des quatre écoles créées par Zannah Mustapha, lauréat de la distinction Nansen pour les réfugiés, dans l’État de Borno, au Nigéria. © HCR/Roland Schönbauer
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Des jeunes déplacés nigérianes regardent par la fenêtre de leur classe dans l’une des quatre écoles créées par Zannah Mustapha, lauréat de la distinction Nansen pour les réfugiés, dans l’État de Borno au Nigéria. © HCR/Roland Schönbauer
Nansen Award Life 3
Des élèves déplacées dans une salle de classe de l’une des quatre écoles créées par Zannah Mustapha, lauréat de la distinction Nansen pour les réfugiés, dans l’État de Borno au Nigéria. © HCR/Roland Schönbauer

Comment la pandémie de Covid-19 a-t-elle affecté le fonctionnement de vos écoles ?

Au plus fort de l’insurrection de Boko Haram, lorsque toutes les écoles étaient fermées, les nôtres sont restées ouvertes mais, après l’arrivée de la pandémie de Covid-19, nous avons dû fermer pendant deux mois sur instruction du gouvernement. En novembre, nous avons rouvert.

La nourriture était le principal défi. Les orphelins avaient l’habitude de se nourrir à l’école mais, à cause de la pandémie de Covid-19, ils ne pouvaient pas obtenir de nourriture à l’extérieur, car les magasins étaient fermés. Nous avons donc distribué la nourriture qui nous avait été donnée.

Qu’est-ce qui a changé depuis 2017 ?

La distinction Nansen a vraiment amélioré les possibilités que nous pouvions offrir à nos enfants. Nous avons augmenté notre capacité pour recevoir davantage d’enfants. D’autres prix ont suivi, notamment le prix Aurora.

A la Fondation, nous nous sommes demandé comment nous pouvions rendre notre travail plus durable. Nous avons acheté 10 hectares de terrain au bord de la rivière et avons créé des rizières, une plantation de bananes et une ferme piscicole pour les parents des élèves, car ils sont déplacés internes et n’avaient aucune source de revenus à Maiduguri.

Nous avons commencé à collaborer avec le centre du HCR pour les moyens de subsistance où 6000 personnes vulnérables, en particulier des veuves, ont reçu une formation pour générer un revenu. Elles ont été formées au tricot mécanique, à la fabrication de chaussures et de sacs à main, à la cosmétologie, à l’informatique, à la couture, à la restauration et à la confiserie, au perlage et à la fabrication de tapis.

Quelle a été l’expérience la plus enrichissante pour vous en tant qu’humanitaire ?

Quand j’ai dit aux jeunes filles de Chibok qui avaient été enlevées par Boko Haram : « Vous êtes libres ! »

Le conflit de Boko Haram a fait de nombreux morts, d’autres sont orphelins et veuves, et vivent toujours dans la peur. Comment la réconciliation progresse-t-elle ?

Ce n’est pas une tâche facile, elle prend du temps. Nous avons réussi à instaurer un climat de confiance pour obtenir la libération des jeunes filles de Chibok. Cependant, en tant que société, nous ne sommes pas surmonté le problème de Chibok, j’en ai peur. Nous devons avoir trois éléments de base pour la réconciliation : la protection des civils, l’accès des humanitaires et la cessation des hostilités. Je veux voir la fin des hostilités mais, pour atteindre cet objectif, nous devons analyser les causes profondes des conflits, ouvrir les portes de la communication.

Que signifie la situation, qui est encore tendue dans certaines régions, pour l’orphelin individuel ?

Chaque enfant qui veut s’inscrire dans nos écoles doit passer par un centre de traumatisme pour être évalué. L’effet de l’insurrection est encore visible chez nos enfants. Beaucoup ont été traumatisés et cela affecte leur comportement. D’autres ont intériorisé la tension, et le seul signe visible est l’hypertension qu’ils avaient tous au début.

Qu’est-ce qui vous donne l’énergie de continuer ?

C’est une question de morale. Aussi, ma foi musulmane. Pour les musulmans, les orphelins sont très importants. Si vous aidez un orphelin, vous avez des chances d’aller au paradis. Si vous abusez d’un orphelin ou si vous lui enlevez quelque chose, vous irez en enfer.

Je suis allé dans une école qui enseignait à la fois l’islam et la foi chrétienne et nous avions un prêtre catholique. Dans nos écoles, nous proposons également un enseignement dans différentes religions, nous ne faisons pas de discrimination par la foi.

« Rien ne m’empêchera de faire ce en quoi je crois – même si quelqu’un ne l’apprécie pas. »

Recevez-vous des menaces pour votre travail ?

Je n’ai jamais reçu de menace, jamais. Il y a des gens qui ne comprennent pas mon travail, mais rien ne m’empêchera de faire ce en quoi je crois – même si quelqu’un ne l’apprécie pas. Il y a eu et il y a toujours une résistance à l’éducation des jeunes filles, même parmi l’élite. Les hommes préfèrent envoyer les garçons à l’école.

Comment parvenez-vous alors à scolariser autant de jeunes filles ?

C’est dû au conflit. Les mères sont devenues veuves, et elles ont choisi d’envoyer leurs filles dans nos écoles.

Publié par le HCR, le 21 décembre 2020.

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