Fridtjof Nansen à bord du « Correct » lors de son expédition en Sibérie en 1913. © HCR

A quelques jours de l’attribution de la distinction Nansen 2022 pour les réfugiés du HCR, nous revenons sur la vie et les exploits du pionnier norvégien qui a donné son nom à ce prix

Par Barney Thompson à Londres, Royaume-Uni


Il y a cent ans, Fridtjof Nansen – un humanitaire, explorateur, diplomate et scientifique norvégien – a remporté le prix Nobel de la paix. Dans son communiqué, le comité de sélection a salué Nansen « pour le rôle de premier plan qu’il a joué dans le rapatriement des prisonniers de guerre, dans les opérations de secours internationales et en tant que Haut Commissaire aux réfugiés de la Société des Nations ».

Mais qui était Fridtjof Nansen ? Et comment un homme qui a commencé sa vie professionnelle en étudiant l’anatomie de minuscules vers marins a-t-il fini par se consacrer aux conséquences humanitaires de la Première Guerre mondiale et de l’effondrement des empires des Romanov, des Habsbourg et des Ottomans ?

Fridtjof Nansen observe une éclipse solaire lors de son expédition en Arctique en avril 1894.   © HCR

Le plus grand explorateur polaire dont vous n’avez probablement jamais entendu parler

Les réalisations de Fridtjof Nansen en tant qu’homme d’État et humanitaire se sont appuyées sur la renommée et la gloire qu’il a acquises en tant qu’explorateur intrépide et visionnaire. Il s’est aventuré pour la première fois dans l’océan Arctique en 1882, alors qu’il n’avait que 20 ans, à bord d’un navire de chasse au phoque (bien que sa tâche principale ait été d’étudier la vie sauvage). En 1888, il a effectué la première traversée du Groenland, un exploit qui a fait de lui un héros national.

Mais son exploit le plus célèbre en tant qu’explorateur est sans doute son expédition au pôle Nord. Fridtjof Nansen a pris la mer en 1893 sur le Fram, un navire qu’il avait spécialement construit pour ce périple, et n’est revenu que trois ans après. Bien qu’il ne soit pas parvenu à atteindre le pôle, il a tout de même établi un nouveau record du point le plus septentrional de la Terre jamais atteint.

Cela a déclenché une véritable frénésie autour de Fridtjof Nansen, tant en Norvège qu’à l’étranger, et notamment en Grande-Bretagne. Parmi les explorateurs qui ont sollicité ses conseils, sa confiance et son soutien financier figurent ainsi Roald Amundsen (qui a même emprunté le Fram pour son expédition en Antarctique), Ernest Shackleton et Robert Falcon Scott.

Le Fram, robuste navire qui a accompagné Fridtjof Nansen dans sa célèbre tentative d’atteindre le pôle Nord (1893-1896).   © HCR

La reconversion en ambassadeur, homme d’État et défenseur de la cause des réfugiés

Alors que la Norvège s’efforçait de mettre fin à son union avec la Suède, Fridtjof Nansen a été impliqué à la fois dans l’offensive diplomatique et dans la stratégie en matière de relations publiques. Après l’indépendance en 1905, il a été nommé ambassadeur en Grande-Bretagne, où il a été très bien accueilli par la haute société et la royauté.

Ce fut son tremplin vers un engagement international plus étendu au lendemain de la Première Guerre mondiale. Populaire, célèbre et admiré pour son honnêteté et son intégrité, Fridtjof Nansen s’est vu confier des rôles que des personnalités plus marquées politiquement n’auraient pas pu assumer. « D’une certaine manière, les hommes d’influence étaient attirés par la personnalité de Nansen », a écrit son biographe Roland Huntford.

Fridtjof Nansen est nommé premier Haut Commissaire aux réfugiés par la Société des Nations en 1921, poste qu’il occupe jusqu’à sa mort en 1930. Il se consacre immédiatement à la recherche de solutions pour les émigrés russes qui ont fui après la révolution bolchevique, les réfugiés de Grèce et de Turquie déracinés par l’effondrement de l’Empire ottoman et la guerre d’indépendance turque, et les Arméniens en fuite.

En Arménie, Fridtjof Nansen goûte la nourriture servie aux enfants.   © HCR

Un autre 100ème anniversaire à célébrer : celui du passeport Nansen

Fridtjof Nansen a constaté que l’un des principaux problèmes auxquels étaient confrontés les réfugiés était l’absence de papiers d’identité reconnus au niveau international. Cela s’explique en grande partie par la chute quasi simultanée de trois empires et par les nouvelles rivalités idéologiques de l’après-guerre. La carte de l’Europe a été considérablement redessinée et les pays d’origine de certains réfugiés ont cessé d’exister. Notamment, le nouveau gouvernement soviétique a privé de leur citoyenneté tous ceux qui avaient fui à l’étranger sans autorisation. Par conséquent, des millions de personnes qui avaient fui leur foyer sont soudainement devenues apatrides.

La solution proposée par Fridtjof Nansen fut le « passeport Nansen ». Délivré pour la première fois en 1922, il servait à la fois de document d’identité et de permis de voyage autorisant les personnes à chercher du travail dans des pays tiers au-delà des frontières de l’État qui les accueillait. Environ 450 000 Russes et Arméniens ont reçu des passeports Nansen. Ceux qui en avaient les moyens devaient payer cinq francs-or pour en obtenir un. Lorsque les passeports ont été supprimés en 1942, plus de 50 pays les avaient reconnus.

Documents de voyage et copie de la Convention relative au statut des réfugiés. © HCR

Les efforts humanitaires de Fridtjof Nansen allaient bien au-delà de l’aide aux réfugiés

Comme l’indique le texte de son prix Nobel, Fridtjof Nansen était engagé à la même époque dans de nombreuses autres activités visant à venir en aide aux personnes ayant un besoin urgent d’assistance humanitaire. Il s’est notamment efforcé, avec le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), de rapatrier quelque 430 000 prisonniers de guerre, principalement de Russie soviétique, d’Allemagne et d’autres puissances vaincues comme l’Autriche et la Hongrie, mais aussi d’autres nationalités. Ne disposant de pratiquement aucun budget, il s’est avéré être un collecteur de fonds et un militant très efficace pour cette cause.

Fridtjof Nansen a également été chargé d’organiser une action de secours pour les millions de Russes touchés par la famine en 1921-22. Toujours en collaboration avec le CICR, il a coordonné l’achat et la livraison de l’aide alimentaire à la Russie jusqu’en 1924 – de petites quantités par rapport à celles fournies par l’American Relief Administration, mais qui ont néanmoins permis de sauver des vies.

Dans son triple rôle de Haut Commissaire pour les réfugiés, de Haut Commissaire pour les secours et de Haut Commissaire pour le rapatriement des prisonniers de guerre, Fridtjof Nansen a constamment appelé les États à agir en fonction d’idéaux supérieurs. « Aucune politique concrète n’est concevable dans une société civilisée si elle n’est pas fondée sur l’amour fraternel, la réciprocité, le dévouement, la confiance… », a-t-il écrit un jour. « L’amour fraternel doit être à la base de toute politique. »

Fridtjof Nansen, en sa qualité de Haut Commissaire pour les réfugiés, examine la farine avec laquelle sera fait le pain destiné à lutter contre la famine en Russie.   © HCR

En réalité, il a (en quelque sorte) remporté deux fois le prix Nobel de la paix

Le prix Nobel de la paix de 1938 a été attribué à l’Office international Nansen pour les réfugiés, créé après la mort de Fridtjof Nansen en 1930, « pour avoir poursuivi l’œuvre de Fridtjof Nansen au profit des réfugiés à travers l’Europe ». L’Office gérait des camps de réfugiés, délivrait des passeports Nansen et contribuait à la délivrance de visas, à la recherche d’emplois, ainsi qu’à la fourniture de médicaments et de nourriture.

En 1954, le HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, a créé un prix au nom de Nansen

La distinction Nansen du HCR pour les réfugiés est décernée chaque année à une personne ou à une organisation faisant preuve d’un dévouement et d’un engagement exceptionnels en faveur des personnes réfugiées, déplacées à l’intérieur de leur pays ou apatrides. La première lauréate fut Eleanor Roosevelt, la première présidente de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies. Parmi les autres lauréats figurent le sénateur américain Edward Kennedy, le chanteur d’opéra Luciano Pavarotti, l’humanitaire Graça Machel, Médecins sans frontières et le peuple canadien par exemple, bien que le prix soit tout aussi susceptible d’être décerné à une organisation locale ou à un individu peu connu. Depuis 2017, le HCR récompense également des lauréats régionaux.

Le passeport et le prix ne sont pas les seules choses à porter le nom de Fridtjof Nansen

Fridtjof Nansen avait un esprit à la fois brillant et agité. Sans son désir d’exploration polaire, il aurait pu embrasser une carrière scientifique. Il a été l’un des premiers à proposer la théorie des neurones – selon laquelle le système nerveux est composé d’unités distinctes plutôt que d’un seul système connecté – et a donné son nom aux « fibres de Nansen » dans la moelle épinière.

Deux des vers marins (myzostomes) qu’il a étudiés ont été nommés plus tard M. Giganteum Nansen et M. Grafi Nansen. La bouteille Nansen-Petterson a été utilisée par les océanographes pour prélever des échantillons en eaux profondes. Une de ses visites en Russie a conduit à l’attribution du nom de la gare de Nansenovka, située sur un embranchement du Transsibérien, et il existe un mont Nansen en Antarctique et un autre dans la région arctique.

Sans parler des innombrables innovations qu’il a réalisées ou inspirées dans le domaine de l’exploration polaire – skis, luges, réchauds, chaussures et vêtements, sacs de couchage, régime alimentaire, conception des navires…

Fridtjof Nansen lors de sa légendaire expédition arctique de 1893-1896.   © HCR

Un personnage de conviction et de courage – mais aussi un personnage complexe

Personnage magnétique, inspirant, charismatique, à la volonté de fer et brillant. Mais aussi sombre, introspectif, égocentrique et perpétuellement convaincu d’avoir raison. Le biographe de Nansen décrit un homme qui passait de la lumière à l’ombre et vice-versa – il pouvait être irrésistiblement charmant et persuasif, mais était également capable de faire de la moralisation à outrance. Conscient de ses talents considérables, il s’est souvent plaint de ne pas en avoir fait assez et d’avoir été entraîné dans trop de directions différentes pour pouvoir apporter une contribution vraiment importante dans un domaine en particulier.

Pourtant, on lui faisait confiance et on le respectait comme un homme de principe qui cherchait à aider ceux qui en avaient le plus besoin, un idéaliste prêt à trouver des solutions pragmatiques aux conséquences désastreuses de la Première Guerre mondiale. Comme l’a dit Thorvald Stoltenberg, homme politique norvégien et ancien Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés : « Avec idéalisme, vigueur, humanité et vision, Nansen a suivi sa conviction inébranlable que l’humanité doit être épargnée de la répétition d’une telle dévastation et d’une telle misère. »

Publié par le HCR, le 26 septembre 2022.

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