La région amazonienne du Brésil a été très durement touchée par le Covid-19 qui expose les peuples autochtones hautement vulnérables du Venezuela à une maladie potentiellement mortelle.
Par Victoria Hugueney à Brasília et Felipe Irnaldo à Manáos, Brésil
Orlando Martínez n’avait quasiment jamais entendu parler du Covid-19 quand 26 membres du groupe ethnique warao auquel il appartient ont commencé à présenter les symptômes révélateurs de la maladie.
« Ça a commencé par une fièvre et après, ils ne pouvaient plus manger. Puis, ils ont eu des maux de tête et des douleurs dans la poitrine. Après, ils ont commencé à tousser et ne pouvaient plus marcher », raconte Orlando, un chef communautaire warao de 43 ans qui a fui la faim, la violence et l’insécurité au Venezuela en 2017, avec environ 18 autres familles du même groupe autochtone.
« Ils étaient très, très malades », dit-il.
Orlando s’est tourné vers ses traditions ancestrales pour essayer de les guérir et a prié pour qu’une intervention divine chasse la maladie. Mais pour l’un d’eux, il était déjà trop tard.
« Quand il est mort, toute la communauté a pleuré », dit Orlando qui ajoute « Nous avons très peur du coronavirus. »
Si la pandémie de coronavirus a prélevé un lourd tribut dans le monde entier, tuant plus de 300 000 personnes et provoquant une explosion du chômage et de la pauvreté, les réfugiés et les demandeurs d’asile y sont particulièrement vulnérables.
Même si près de la moitié des réfugiés autochtones vénézuéliens au Brésil ont pu se mettre à l’abri dans différents foyers du pays, des milliers d’autres vivent toujours dans des situations précaires. Cantonnés dans des logements insalubres et dépendants en grande partie de la vente de leur artisanat, ils sont souvent doublement touchés, d’abord financièrement par les mesures d’auto-isolement et aussi parce qu’ils n’ont guère les moyens d’appliquer les mesures de prévention de la contagion.
« Ils étaient très, très malades… Nous avons très peur du coronavirus. »
Les peuples autochtones sont en outre particulièrement vulnérables au Covid-19 de même qu’à toutes les autres maladies. Dans le passé, les flambées de rougeole, de variole et de grippe ont décimé les peuples autochtones des Amériques qui n’avaient pas d’immunité naturelle contre les maladies de l’ancien monde. Et même si l’on ne sait pas précisément dans quelle mesure les peuples autochtones sont particulièrement sensibles au Covid-19, certains groupes autochtones ont dit redouter que le coronavirus ait des effets dévastateurs sur leurs populations déjà restreintes.
Bien que l’on ne sache pas exactement combien d’autochtones ont été contaminés par le Covid-19 au Brésil, la région amazonienne du nord du pays – où vivent de nombreux autochtones brésiliens et nombre des quelque 5000 autochtones vénézuéliens qui ont fui vers le Brésil – est l’une des zones les plus durement touchées.
Au début mai, les chefs autochtones de cette nation sud-américaine ont lancé un appel à l’Organisation mondiale de la santé pour qu’elle crée un fonds d’urgence destiné à protéger leurs communautés de la menace de la pandémie.
Les chefs communautaires représentant les quelque 850 000 autochtones qui vivent dans le pays ont insisté sur le fait qu’ils sont « extrêmement vulnérables et qu’il y a un risque réel de voir ce nouveau virus provoquer un autre génocide. » Une lettre ouverte signée par diverses célébrités mondiales, dont Brad Pitt, Madonna et Paul McCartney, déclare que le Covid-19 constitue une « menace extrême » pour les peuples autochtones d’Amazonie.
« Il y a cinq siècles, ces groupes ethniques ont été décimés par les maladies introduites par les colons européens », peut-on lire dans cette lettre qui a été signée par plus de 240 000 personnes. « Ils pourraient aujourd’hui disparaître totalement, car ils n’ont aucun moyen de lutter contre le Covid-19. »
Sur fond de pandémie, la situation de réfugiés autochtones tels qu’Orlando est doublement précaire confirme Sebastian Roa, un adjoint de terrain du HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, au Brésil.
« Les peuples autochtones déplacés de force sont souvent affaiblis et carencés », précise M. Roa. Conjuguée au « manque d’accès aux médecines naturelles, aux conditions de vie insalubres et à l’exposition à de nouvelles maladies », cette dégradation de leur état peut s’avérer fatale.
Yesmari Zapata, une femme warao originaire de la région du delta de l’Orénoque dans le nord-est du Venezuela, vivait avec sa famille dans un foyer surpeuplé de la ville amazonienne de Manáos. Elle raconte combien il était difficile d’appliquer les mesures élémentaires d’hygiène dont les médecins disaient qu’elles étaient le meilleur moyen de prévenir la contagion.
« On dormait tous dans une petite pièce et il n’y avait pas assez d’eau » pour qu’on puisse se laver les mains fréquemment, explique-t-elle.
La famille a depuis été transférée dans un autre foyer géré par le HCR et les autorités municipales où Yesmari dit qu’il est plus facile de maintenir la distanciation sociale.
« Je pense que rester ici, dans ce foyer, est ce que nous pouvons faire de mieux pour le moment », conclut-elle. « Ici, nous avons beaucoup d’espace et c’est bien ventilé et sûr pour les enfants. »
« Ce qui est bien aussi, c’est qu’ils assurent le déjeuner et le dîner. Comme ça, nous n’avons pas à sortir pour essayer de gagner quelque argent afin d’acheter à manger », ajoute-t-elle, évoquant les difficultés économiques que les consignes de distanciation sociale et d’autoconfinement ont engendré pour de nombreux Vénézuéliens autochtones au Brésil.
« Je pense que rester ici, dans ce foyer, est ce que nous pouvons faire de mieux pour le moment. »
Orlando et les siens gagnent leur vie en vendant des articles d’artisanat fabriqués avec les feuilles du palmier buriti. Mais à partir du moment où il leur a été interdit de sortir pour vendre leur production, ils n’ont plus été en mesure de payer le loyer de la maison qu’ils louaient dans la ville amazonienne de Belém où ils sont restés cloîtrés pendant des mois.
« On ne pouvait plus payer le loyer et on a été expulsés », explique-t-il.
L’ensemble de leur groupe, soit plus de 120 personnes, a été expulsé en plein milieu de la pandémie. Heureusement, ils ont rapidement été relogés dans un foyer local.
Avec la propagation de la pandémie de coronavirus à travers l’Amérique latine, le HCR craint que de nombreuses communautés autochtones déplacées se retrouvent dangereusement exposées, risquant ainsi d’être contaminées.
L’Agence des Nations Unies pour les réfugiés travaille avec les collectivités locales de l’ensemble de la région pour s’assurer que les réfugiés et demandeurs d’asile autochtones puissent avoir accès à des foyers dotés de meilleurs moyens d’assainissement et elle a par ailleurs distribué des centaines de kits d’hygiène à des foyers abritant des populations autochtones.
Le HCR est également devenu la première source d’information sur le Covid-19 pour certaines communautés autochtones vivant dans la région frontalière isolée du nord du Brésil, notamment grâce à la distribution de brochures de prévention rédigées dans les langues autochtones warao et eñepá et d’autres initiatives.
Pour autant, les communautés autochtones réfugiées au Brésil craignent pour leur avenir.
« Nous avons peur », dit Manuel José Borges Mata, un Warao de 29 ans originaire de la région de Delta Amacuro dans le nord-est du Venezuela, qui vivait dans un foyer à Manáos avec sa femme et leurs trois enfants. « Nous avons peur de mourir et peur de perdre ceux que nous aimons. »
Publie par le HCR, le 19 mai 2020