Birthday celebrations outside Walji-Adatia family home in Jinja, Uganda. © Photo courtesy the Walji-Adatia family

Birthday celebrations outside Walji-Adatia family home in Jinja, Uganda. © Photo courtesy the Walji-Adatia family

De Shairoze Walji

« Ce n’est plus chez nous ».

Voici ce qu’aurait dit mon grand-père ou Dada, d’après ma tante, le jour où il a décidé qu’il était temps pour notre famille de quitter l’Ouganda, un pays où lui et ses quatre enfants étaient pourtant nés et avaient grandi.

 Que s’était-il passé pour qu’il ne se sente plus chez lui dans ce pays qu’il aimait pourtant de tout son cœur? Quelques semaines auparavant, il était encore décidé à y rester.

Lorsque j’ai appris que Dada avait refusé de quitter l’Ouganda, cela m’a choquée.

À gauche : Rajabali (Dada) et Khatija (Dadima) Walji-Adatia célébrant le mariage du frère de mon grand-père, à Kampala en Ouganda. À droite : Khatija et Rajabali Walji-Adatia. © Photo fournie par la famille Walji-Adatia

À gauche : Rajabali (Dada) et Khatija (Dadima) Walji-Adatia célébrant le mariage du frère de mon grand-père, à Kampala en Ouganda. À droite : Khatija et Rajabali Walji-Adatia. © Photo fournie par la famille Walji-Adatia

Il a toujours aimé faire les choses dans les règles. Au Canada, je me souviens qu’il votait à chaque élection, qu’il portait fièrement son drapeau canadien et qu’il m’accompagnait même aux rassemblements politiques qui me tenaient à cœur.

Mais ce qu’il ne pouvait accepter, c’était qu’on lui dise de quitter son pays natal, le pays de son enfance où il avait tous ses souvenirs. Il a refusé catégoriquement.

Il a fallu que l’armée vienne, l’emmène de force et le frappe pour qu’il change d’avis. Lorsque j’ai appris cela, j’ai ressenti une profonde douleur dans mon cœur que je ne peux toujours pas décrire avec des mots aujourd’hui. Ce n’est qu’après son décès que j’ai découvert tout ceci et que les histoires de famille ont commencé à émerger.

J’ai ainsi commencé à en savoir plus sur la raison qui avait poussé ma famille à quitter l’Ouganda pour venir au Canada après l’expulsion de tous les Sud-Asiatiques en 1972. J’avais toujours su que les membres de ma famille étaient arrivés au Canada en tant que réfugiés, mais jusque-là, je ne connaissais pas les détails ni les épreuves qu’ils avaient traversées. Ils ont refoulé leurs traumatismes, les ont mis sous clé ou ont choisi de pardonner et d’oublier.

Pique-nique avec la famille au complet à Guelph. © Photo fournie par la famille Walji-Adatia

Pique-nique avec la famille au complet à Guelph. © Photo fournie par la famille Walji-Adatia

Dada et moi étions très proches. Nous prenions le bus ensemble à Guelph afin d’aller goûter une nouvelle pâtisserie. C’était un homme heureux qui aimait rire. Nous vivions au-dessus du dépanneur tenu par notre famille : Dada, Dadima ou Maji (ma grand-mère), mon père, ma mère, ma sœur et moi. Comme dans la série Kim’s Convenience, mais dans la vraie vie!

Mon grand-père étant le fils aîné de la famille, notre maison était souvent un lieu de rassemblement. Je me souviens très bien que des membres de la famille venaient souvent souper à la maison.

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Soupers de famille à Guelph. © Photo fournie par la famille Walji-Adatia
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Soupers de famille à Guelph. © Photo fournie par la famille Walji-Adatia

Ma mère et Dadima préparaient souvent un plat traditionnel indien d’Afrique de l’Est, qui libérait dans l’air des arômes de clous de girofle, de cumin, de cardamome et d’oignons. Les adultes s’asseyaient ensemble autour de la table de la salle à manger, et racontaient des blagues, riaient et relataient des moments de leur vie.

Lorsqu’arrivait l’heure d’aller se coucher, mon grand-père donnait à chaque enfant un sac rempli de bonbons à ramener chez eux, même si nous en avions déjà tous mangé en cachette tout au long de la journée.

J’ai toujours aimé ces grandes réunions de famille. Chaque année, à Pâques, un côté de la famille invitait entre 100 et 200 personnes pour l’occasion. Néanmoins, la pandémie a interrompu ces réunions de famille en personne, et nous avons dû les organiser en ligne.

Un jour, un des membres de la famille organisant une réunion en ligne a montré des photos avant leur arrivée au Canada et des photos de « leur cher pays ». J’ai été surprise d’apprendre que toute la famille n’était pas arrivée au Canada dans les 90 jours suivant leur expulsion. Beaucoup se sont retrouvés dans des camps de réfugiés en Europe. Ma famille s’est retrouvée en Autriche.

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Le Prince Sadruddin Aga Khan, Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, salue ma grand-tante Sultan Khimani dans un camp de réfugiés en Autriche. © Photo fournie par la famille Walji-Adatia
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Photos d'identité des membres de la famille de mon père qui ont vécu dans le camp de réfugiés de Traiskirchen, en Autriche. Mon arrière-grand-mère, mon grand-père, ma grand-mère, mon père et ma tante. © Photo fournie par la famille Walji-Adatia

J’ai également appris que les membres de ma famille n’avaient pas tous anticipé leur déplacement de la même manière. L’un d’entre eux pensait que l’expulsion ne durerait que quelques semaines et n’a donc emporté aucune photo de famille avec lui. Un autre membre de la famille, s’inquiétant de savoir comment ils allaient préparer leur prochain repas, a demandé à ses enfants d’emporter avec eux divers ustensiles de cuisine.

Quant à ma famille, soucieux d’être en mesure de manger des plats leur rappelant leur pays natal, ils ont pris avec eux toutes leurs épices. Ma Dadima a ainsi utilisé ces épices pour donner du goût aux pommes de terre et aux œufs bouillis qu’ils mangeaient dans le camp de réfugiés. Elle a même demandé à mon père d’acheter une poêle à frire pour préparer des rotis pour sa famille et les partager avec leurs voisins.

Au cours de l’une de ces rencontres en ligne, j’ai posé cette question : « Pourquoi la plupart des membres de la famille ont-ils décidé de vivre à Guelph? » Apparemment, le plus jeune frère de mon grand-père a demandé à l’agent frontalier lors de son arrivée à Montréal de lui indiquer une ville possédant une bonne université.

L’éducation a toujours été d’une grande importance dans notre famille. Ainsi, ne cherchant pas plus loin, le frère de mon grand-père a fait de Guelph la ville d’adoption de toute la famille.

Étant lui-même de Guelph, l’agent lui a dit qu’il y avait une bonne université là-bas. L’éducation a toujours été d’une grande importance dans notre famille. Ainsi, ne cherchant pas plus loin, le frère de mon grand-père a fait de Guelph la ville d’adoption de toute la famille.

Venir au Canada a marqué un nouveau départ pour ma famille. Mes deux grands-parents se sont inscrits à des cours d’anglais, ce qui leur a permis de mieux s’intégrer dans leur nouvelle vie. Dadima se réjouissait de suivre des cours d’anglais, car c’était la première fois de sa vie qu’elle pouvait aller à l’école.

Je me demande souvent ce qu’elle aurait choisi d’étudier si elle avait eu la chance de s’instruire plus jeune.

Ma tante se souvient que Dada demandait à ses enfants de l’aider pour ses devoirs, tandis que Dadima faisait les siens toute seule avec beaucoup d’enthousiasme. Cela m’a fait chaud au cœur d’apprendre cela : c’est le Canada qui lui a permis de suivre des cours et d’améliorer ses compétences. Je me demande souvent ce qu’elle aurait choisi d’étudier si elle avait eu la chance de s’instruire plus jeune.

Mon père ainsi que ses frères et sœurs ont suivi à tour de rôle des formations pour acquérir des compétences plus formelles et ont suivi des cours au Conestoga College. Plus tard, mon père a acheté une épicerie pour que toute la famille puisse travailler ensemble. Pendant mes études secondaires, j’y ai même travaillé et, je me retrouve encore à y travailler aujourd’hui lorsque je rends visite à mes parents.

Dada n’a jamais parlé ouvertement de l’Ouganda. Lorsque je lui posais des questions sur sa vie là-bas, il me souriait et disait que c’était il y a longtemps. Je regrette de ne pas en savoir plus sur lui, mais il valait peut-être mieux ne pas ouvrir ce chapitre douloureux et se contenter des souvenirs chaleureux de leur nouvelle vie au Canada.

Shairoze est membre du personnel du HCR Canada. Elle détient une maîtrise en Affaires internationales de la New School et un baccalauréat en Administration des affaires de l’Université Wilfrid Laurier. Dans son temps libre, elle aime faire du bénévolat près de chez elle et explorer la culture unique de Toronto à travers la gastronomie locale.

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