Nabiha, une femme déplacée au Yémen, s'occupe d'un patient.

Nabiha, une femme déplacée au Yémen, s’occupe d’un patient. © UNHCR/Assma Mohamed Alsaghir


Alors que la pire crise humanitaire au monde fait rage, les femmes et les enfants représentent les trois quarts des quatre millions de personnes contraintes de quitter leurs foyers, ce qui les expose à un risque accru.

Par Jean-Nicolas Beuze à Hudaydah, Yémen

Sur un petit lopin de terre à la périphérie de Hudaydah, le principal port du Yémen sur la mer Rouge, Nabiha, 38 ans, tente de reconstruire sa vie brique après brique. Devenue veuve au début du conflit dans le pays et déplacée à plusieurs reprises par les combats, cette mère de trois enfants construit une maison qui, elle espère, restaurera la stabilité perdue par sa famille.

Originaire d’Al-Mokha, une ville située à 185 kilomètres de la côte, célèbre pour son commerce historique de café, Nabiha a fui vers Hudaydah avec sa mère, son frère, sa fille et ses deux fils en 2015, après que son mari a été tué dans une explosion alors qu’il était au travail.

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« Il a été transporté d’urgence à l’hôpital mais, après une semaine passée entre la vie et la mort, il est mort », a déclaré Nabiha. « C’était une période très difficile pour nous. J’ai décidé de partir. J’avais peur que mes enfants meurent aussi… si nous restions là. »

Après avoir dépensé la plupart de ses économies pour louer un logement à Hudaydah, Nabiha s’est à nouveau retrouvée prise au piège dans les combats intenses qui ont éclaté dans la ville à la fin 2017. Ces violences ont tué plus de 2900 civils et endommagé plus de 6600 maisons, 33 écoles et 43 routes et ponts, faisant de Hudaydah l’une des villes les plus touchées par six années de conflit au Yémen.

« Des familles ont été tuées et blessées tout autour de nous. »

Sans les moyens de partir et de recommencer une nouvelle vie ailleurs, Nabiha n’a eu d’autre choix que de rester dans la ville, déplaçant la famille d’un endroit à l’autre au fur et à mesure que les lignes de front se déplaçaient.

« Je vivais très près des combats. J’ai dû déménager dans un autre quartier parce que des familles étaient tuées et blessées tout autour de nous. Nous avons déménagé trois fois d’un quartier à l’autre pour éviter les balles et les frappes aériennes, » a déclaré Nabiha.

Alors que le conflit au Yémen entre dans sa septième année ce mois-ci, les luttes désespérées de Nabiha sont devenues une expérience familière pour des millions de personnes prises au piège dans la pire crise humanitaire au monde.

Depuis 2015, plus de 20 000 morts et blessés civils ont été enregistrés et plus de 4 millions de personnes ont été contraintes de fuir à l’intérieur des frontières du pays. Les trois quarts des Yéménites déplacés internes sont des femmes et des enfants, tandis qu’une famille déplacée sur quatre est dirigée par une femme comme Nabiha.

Dans une société patriarcale comme le Yémen, où les normes et pratiques socioculturelles façonnent la vie des femmes, le conflit a augmenté le risque d’exploitation et d’abus.

Pour tenter de subvenir aux besoins de sa famille, Nabiha travaille occasionnellement comme femme de ménage et utilise les compétences de base en soins infirmiers qu’elle a apprises de son défunt mari – qui était infirmier dans un hôpital privé à Al-Mokha – en travaillant par roulement dans des cliniques privées locales et en administrant aux patients des injections, des premiers soins et en prenant leur tension artérielle.

En plus de lui rapporter entre 250 et 500 rials yéménites (2 à 4 dollars) par jour, ses compétences se sont rapidement fait connaître parmi ses voisins, qui viennent lui demander de l’aide et l’appellent affectueusement « docteur ». Dans un pays confronté à une grave pénurie de personnel médical qualifié et où seule la moitié des établissements de santé sont encore opérationnels, les compétences de Nabiha sont d’une grande utilité.

Le peu d’argent qu’elle parvient à gagner est souvent insuffisant pour couvrir les besoins essentiels de la famille. Leur régime alimentaire se compose presque exclusivement de riz et de haricots, et il n’est pas rare qu’ils n’aient de quoi préparer un seul vrai repas par jour, Nabiha sautant parfois même celui-ci pour que ses enfants aient davantage pour se nourrir.

De telles stratégies d’adaptation néfastes sont devenues courantes au fur et à mesure que la crise alimentaire s’aggrave au Yémen. Les familles déplacées sont quatre fois plus susceptibles que les autres Yéménites de souffrir d’insécurité alimentaire et, selon les évaluations, quelque 2,6 millions de personnes déplacées dans le pays sont près de sombrer dans une situation de famine.

Nabiha a également reçu une allocation d’aide en espèces du HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, dans le cadre de ses efforts pour aider et protéger les familles déplacées les plus vulnérables à l’intérieur du pays.

Ces deux dernières années, les besoins des personnes ayant augmenté, le programme d’assistance en espèces mené par le HCR dans le pays s’est développé pour devenir l’un des cinq plus importants au monde, aidant plus d’un million de personnes par an. Cette assistance s’avère plus essentielle encore pour les deux tiers des familles yéménites déplacées qui, contrairement à celle de Nabiha, n’ont aucune forme de revenu.

« Je veux qu’ils aient une vie meilleure. »

C’est grâce à l’aide qu’elle a reçue, ainsi qu’à l’obtention d’un prêt et à l’utilisation de ses dernières économies, que Nabiha a pu acheter le terrain où elle est maintenant en train de construire une maison plus permanente pour sa famille, loin des zones où les combats continuent.

« C’est loin de la ville et proche d’une décharge, mais c’est mieux que de louer », a déclaré Nabiha. « Avant, je payais un loyer et parfois je n’avais pas assez d’argent pour payer, et le propriétaire me menaçait [d’expulsion]. A l’époque, je ne pouvais pas dormir parce que je pensais à comment gérer l’argent du loyer. »

Pour l’instant, la structure de base en briques ne comprend qu’une seule pièce avec un toit provisoire qui fuit lorsqu’il pleut. Mais malgré les difficultés persistantes et le défi que représente la construction d’une maison avec peu de moyens, Nabiha espère offrir à ses enfants une éducation correcte et, avec elle, la possibilité de réaliser leurs rêves.

« Ma fille veut être pharmacienne… l’un de mes garçons veut être médecin et le second veut travailler dans les médias », a déclaré Nabiha. « Je veux que mes enfants soient indépendants. Ils sont excellents dans leurs études. Je veux qu’ils puissent compter sur eux-mêmes lorsque je mourrai. Je veux qu’il aient une vie meilleure ; meilleure que la mienne. »

Publié par le HCR, le 31 mars 2021.

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