Une femme pose devant des instruments de musique.

A son arrivée au Chili, Ana Marvez a reçu une multitude de CV de la part de ses pairs vénézuéliens en recherche d’emploi. © HCR/Eugenia Paz

L’ancienne cheffe de choeur Ana Marvez ne supportait plus que ses compatriotes vénézuéliens perdent peu à peu leur compétences musicales dans leur pays d’accueil. Elle a donc fondé un orchestre.

Par Stephanie Rabi Misle à Santiago, Chili 


Quand on doit fuir son foyer, l’un des aspects les plus déchirants est de devoir également abandonner sa profession, explique Ana Marvez, 34 ans, professeure de musique et cheffe de chœur, qui a quitté le Venezuela en quête de refuge au Chili il y a environ cinq ans.


Ana se considère chanceuse. Non seulement elle a trouvé du travail peu après son arrivée dans la capitale chilienne, Santiago, mais elle a également réussi à obtenir un poste un tant soit peu lié à son ancienne carrière. Elle a occupé un emploi de secrétaire payé au salaire minimum dans une école d’art.

Ce n’est pas le cas de la majorité des musiciens professionnels qui font partie des plus de 457 000 réfugiés et migrants vénézuéliens vivant actuellement au Chili. La plupart d’entre eux sont contraints d’accepter toute sorte d’emplois pour joindre les deux bouts.

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« J’ai eu beaucoup de chance… au contraire d’autres musiciens professionnels », a-t-elle déclaré, ajoutant que la plupart des musiciens vénézuéliens qu’elle a connus au Chili « ont du mal à survivre et occupent des emplois de caissiers, de nourrices, d’agents de sécurité ou de portiers. »

« Si vous ne pratiquez pas constamment la musique, vous perdez vos acquis. »

Le Venezuela abrite l’un des programmes d’éducation musicale les plus prestigieux au monde, avec un réseau d’orchestres de jeunes qui produisent des musiciens professionnels de classe mondiale – dont beaucoup vivent aujourd’hui à l’étranger. Peu après avoir été embauchée à l’école d’art, Ana a commencé à recevoir des CV d’autres musiciens vénézuéliens déracinés, qui cherchaient désespérément du travail. Ces nombreux CV l’ont fait réfléchir.

Je me suis dit : « Ce n’est pas possible. Tous ces talents sont gaspillés », se souvient-elle. « En tant que musicienne, je sais que si vous ne vous entraînez pas constamment, comme c’est le cas pour les athlètes, vous perdez vos acquis et toutes les années de pratique. »

Sur un coup de tête, elle a ramené un soir chez elle la trentaine de CV reçus et a commencé à appeler les demandeurs d’emploi.

« Je leur ai demandé s’ils étaient prêts à se réunir le week-end pour monter un orchestre et donner des cours de musique », raconte Ana. Non seulement presque tous ceux qu’elle a appelés étaient ravis de se joindre à son projet naissant, mais beaucoup d’entre eux ont fait appel à leurs propres réseaux et ont recruté leurs amis musiciens.

La « Fundación Música para la Integración », ou « Fondation musicale pour l’intégration », était née.

Un homme dirige un orchestre.

L’orchestre de la « Fundación Música para la Integración », dirigé par le chef d’orchestre vénézuélien Simón Arias, se produit à l’auditorium de la Fundación Telefónica à Santiago du Chili. © HCR/Eduardo Beyer

Aujourd’hui, environ 350 musiciens – pour la plupart des réfugiés et des migrants vénézuéliens, d’autres sont également originaires de Colombie, du Pérou et du Mexique, ainsi que du Chili – participent au projet, qui comprend un orchestre symphonique, une chorale et plusieurs cours de musique pour enfants. La majorité d’entre eux sont des bénévoles, mais la Fondation répartit les contributions qu’elle reçoit des cours et de la centaine de concerts que le groupe a donnés au Chili pour aider à compléter les revenus de ses musiciens.

Pour de nombreux participants, les avantages du bénévolat auprès de la Fondation dépassent toutefois de loin les suppléments de revenus.

« Beaucoup d’entre eux se sentaient seuls, et le fait d’être entourés d’autres musiciens a contribué à leur redonner le moral. »

« Beaucoup d’entre eux se sentaient seuls, déprimés et abattus, et le simple fait d’être entourés d’autres musiciens a contribué à leur redonner le moral », a déclaré Ana, qui occupe aujourd’hui un nouvel emploi. Désormais elle travaille à la mairie de Lo Barnechea, dans la banlieue de Santiago, et elle consacre ses soirées, ses week-ends et ses vacances à son projet passionnant.

« La Fondation assure de façon informelle un soutien psychologique, au fur et à mesure qu’ils s’adaptent à la vie au Chili. »

La pandémie de Covid-19 a forcé la Fondation et ses membres à s’adapter encore une fois. En raison des confinements successifs, le groupe a dû annuler ses concerts et ses répétitions en présentiel, tandis que les cours de musique se sont déroulés en ligne selon des horaires réduits.

Bien qu’elle ne génère plus que très peu de revenus pour ses membres, la Fondation – qui reçoit le soutien du HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés – fait toujours de son mieux pour offrir un bouée de sauvetage à ceux qui se trouvent dans des situations critiques.

« Nous avons organisé plusieurs collectes de fonds pour pouvoir acheter de la nourriture à nos musiciens et aussi pour qu’ils puissent envoyer de l’argent à leurs familles au Venezuela », a déclaré Ana, ajoutant que plusieurs membres du groupe se sont installés ensemble pour réduire les coûts.

Personne ne sait quand la Fondation pourra reprendre ses concerts et autres activités en présentiel, mais Ana et le conseil d’administration de l’organisation, composé uniquement de femmes, ont de grands projets.

« Nous avons montré à tous ce dont les femmes sont capables. »

Ayant constaté le bien-être que la Fondation a apporté à ses musiciens réfugiés et migrants, elles espèrent aider des musiciens appartenant à d’autres populations vulnérables, comme la communauté LGBTI et les personnes handicapées.

Mais pour le moment, Ana est fière de la façon dont la Fondation est devenue un puissant symbole de la résilience des personnes déracinées, en particulier des femmes déplacées comme elle.

« En tant que Vénézuéliennes, nous considérons que nos compétences en matière de leadership vont de soi, et il est surprenant de constater que, très souvent, ce n’est pas le cas ailleurs », a-t-elle déclaré.

« Nous avons montré à la société et au monde ce dont les femmes sont capables et qu’une femme qui cumule tous les désavantages du fait d’être étrangère… peut mener à bien un si beau projet. »

Publié par le HCR, le 9 mars 2021.

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