Haseena, neuf ans, et Nadia, douze ans. Les soeurs sont parmi la deuxième génération d’étudiantes réfugiés Afghan à l’école d’Asifi. Leur mère, Salma, a été parmi des premières étudiants ya deux décennies.

Haseena, neuf ans, et Nadia, douze ans. Les soeurs sont parmi la deuxième génération d’étudiantes réfugiés Afghan à l’école d’Asifi. Leur mère, Salma, a été parmi des premières étudiants ya deux décennies. © HCR / S. Rich

Comme des millions de personnes à travers le monde, j’ai été ému par le récent tollé général qui s’est élevé en Europe pour les réfugiés et les gestes spontanés de solidarité qui leur ont été adressés. Cette réaction a été à la fois très intéressante à observer et très encourageante. À titre d’ambassadeur du HCR (le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés), j’ai été bouleversé par le soutien apporté aux efforts d’organisation déployés en Europe en même temps que le HCR distribuait des tentes, des couvertures, de la nourriture et les biens de première nécessité dont les familles de réfugiés ont eu si désespérément besoin dans cette période d’urgence.

Mais maintenant ? Que va-t-il se passer lorsque les images dramatiques disparaîtront de nos écrans de télévision ?

Elles ne doivent pas non plus s’effacer de notre conscience collective. Même si cette première urgence a été incroyablement difficile à gérer pour toutes les parties impliquées, c’est maintenant que le travail le plus dur commence. Il est fondamental de garder en mémoire que l’exil d’un réfugié est d’au moins quinze ans, qu’il soit dans un camp de réfugiés en Jordanie ou en Ouganda, dans une installation précaire au Liban ou en Thaïlande ou qu’il ait pu se réinstaller aux États-Unis ou en Europe.

Ce temps est long. Très long. C’est pourquoi le travail qui reste à réaliser, très difficile, doit faire en sorte que les réfugiés restent, de manière certaine, des membres actifs qui contribuent à la vie de la société. Il faut travailler d’arrache-pied pour que les réfugiés puissent sans faute avoir accès à l’éducation et à une formation professionnelle. Ce point va dans l’intérêt de tous, celui du pays hôte, celui des réfugiés et celui du pays où ils espèrent pouvoir enfin retourner un jour.

Trop souvent, les réfugiés sont perçus comme un fardeau. En réalité, il arrive que des réfugiés deviennent des membres parmi les plus dynamiques de la société. Nous savons tous qu’Albert Einstein était un réfugié, tout comme Marlene Dietrich, Madeleine Albright, George Soros, Sigmund Freud, Isabelle Allende, pour n’en nommer que quelques-uns. Mais des millions d’autres noms, des réfugiés moins célèbres mais tout aussi héroïques, travaillent silencieusement, anonymement, souvent dans des circonstances difficiles et dangereuses. Aqeela Asifi, qui s’est vu décerner la médaille Nansen par le HCR en guise de reconnaissance pour son engagement extraordinaire et son service exceptionnel pour les réfugiés, est l’un de ces noms.

En 1992, à 26 ans, Aqeela Asifi a fui le siège des moudjahidines de Kaboul, en Afghanistan, avec son mari et leurs deux enfants de bas âge pour s’établir dans le village de Kot Chandna au Pakistan, un village isolé de réfugiés. En fuyant son pays natal, Aqeela Asifi pensait déjà qu’elle serait de retour chez elle seulement quelques mois plus tard.

Elle comprit vite ce que tous les réfugiés savent : au milieu du bruit, du chaos, et traumatisé par la fuite de votre pays, l’immédiat devient votre priorité. Vous voulez protéger vos enfants et trouver un refuge. Vous voulez juste survivre. Peu à peu, vous finissez par comprendre que ce n’est pas demain que vous allez vite rentrer chez vous, que c’est un rêve impossible, que vous devez remettre les compteurs de votre vie à zéro, que vous devez tout rebâtir à partir de rien. Si vous arrivez finalement à accepter tout cela, un changement s’opère en vous, vous passez de l’état de survie à celui de résilience. Vous êtes alors déterminé à être fort, à aller de l’avant, à créer de nouveau.

L’éducation scolaire des enfants d’Aqeela Asifi a été interrompue par la guerre et le déplacement. En tant qu’ancienne enseignante, il lui était impossible de les voir stagner à un âge où le développement ne peut être freiné. Elle a été frappée par le manque d’écoles à Kot Chandna et par l’absence totale de possibilités d’apprentissage pour les filles. Après avoir obtenu l’appui des aînés du village, Aqeela Asifi est allée de porte en porte pour convaincre les parents réticents qu’il fallait la laisser instruire leurs filles. Elle a ouvert son école avec vingt élèves, une tente, des feuilles d’exercices rédigées à la main, et surtout, une volonté farouche.

La petite école d’Aqeela Asifi a grandi et le gouvernement pakistanais lui a envoyé des fonds. L’école a été agrandie à six tentes et Aqeela Asifi a commencé aussi à enseigner aux jeunes filles pakistanaises. Aujourd’hui, l’école est un bâtiment en dur. Aqeela Asifi a transformé la vie de plus de mille filles, et ses démarches ont encouragé l’ouverture de six autres écoles fréquentées par mille cinq cents autres garçons et filles.

Je suis écrivain et je crois donc davantage au pouvoir des mots qu’à celui des chiffres. Pourtant, il est impossible d’ignorer les chiffres inscrits dans la marge de l’histoire d’Aqeela Asifi. Nous savons fort bien au HCR que les Afghans instruits ont trois fois plus de chance d’être rapatriés que de rester dans leur pays d’accueil. L’instruction, plutôt que d’enraciner les réfugiés au Pakistan, a été un facteur de mobilisation pour les personnes qui retournent en Afghanistan. L’instruction aide à protéger les enfants réfugiés de l’analphabétisme, des abus et de l’exploitation par le travail, des mariages forcés précoces ou du recrutement au sein des groupes armés. L’instruction est un moyen de sortir de la pauvreté, elle donne aux réfugiés les qualifications nécessaires afin qu’à leur retour chez eux, ils puissent construire, pour eux-mêmes et pour leur pays, un avenir sûr, stable et prospère. À l’échelle mondiale, plus de 50 % des réfugiés sont des enfants. Mais uniquement un enfant réfugié sur deux est inscrit dans le primaire. Et seulement un adolescent réfugié sur quatre reçoit un enseignement secondaire.

J’espère, lorsque le feu des projecteurs se déplacera inévitablement loin de la crise qui sévit en Europe, que la sensibilisation et la bienveillance des gens, qui se sont manifestées à travers la planète envers les réfugiés, resteront solides, que nous garderons à l’esprit que les réfugiés ont besoin de bien plus qu’un soutien d’urgence. Ils ont besoin de croire en un avenir, comme nous tous. Je voudrais que nous nous rappelions que les réfugiés apportent leur contribution à leur pays hôte, et ce, de manière durable.

Avant tout, nous devons nous rappeler que, dans notre monde de plus en plus interconnecté, investir dans l’avenir des réfugiés, c’est aussi investir dans le nôtre.

 

Pour de plus amples renseignements au sujet de la réponse du HCR à la crise des réfugiés en Europe, veuillez consulter : www.unhcr.org

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Khaled Hosseini et le HCR :

L’auteur américain Khaled Hosseini est d’origine afghane. Il a obtenu une reconnaissance internationale pour ses trois romans à succès, Les Cerfs-Volants de Kaboul (The Kite Runner), Mille Soleils splendides (A Thousand Splendid Suns) et Ainsi résonne l’écho infini des montagnes (The Mountains Echoed).

Alors qu’il n’avait que quatorze ans et que l’Union soviétique envahissait l’Afghanistan, Khaled et sa famille sont forcés de demander l’asile aux États-Unis. Réfugié lui-même, Khaled Hosseini connaît donc la grande importance du travail du HCR et éprouve envers l’organisation une profonde reconnaissance.

Khaled Hosseini a effectué plusieurs visites sur place pour pouvoir témoigner du travail de première ligne du HCR pour les réfugiés, notamment en Afghanistan, au Tchad, en Irak (en 2014) et maintenant en Jordanie. Après un voyage de retour en Afghanistan, Khaled a mis sur pied la fondation Khaled-Hosseini qui, associée au HCR, recueille des fonds afin de bâtir des maisons pour des milliers de réfugiés rapatriés, de leur fournir des opportunités économiques, de leur donner une instruction et d’apporter les soins de santé nécessaires pour les femmes et les enfants vulnérables.

En 2013, Khaled a été nommé Ambassadeur de bonne volonté du HCR en reconnaissance de ses nombreuses années d’engagement auprès du HCR et de son travail infatigable au nom des réfugiés.

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